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Billet de blog 19 juin 2009

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Iran : Qui hait qui ?

Cet article est paru le 19 juin 2009 sur le site américain Salon.com et a été traduit avec son autorisation. Gabriel Winant y fait un panorama des différentes personnalités politiques conservatrices et centristes, de leur rapports entre eux, et essaie de comprendre quelle pourra être l’issue de cette crise.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cet article est paru le 19 juin 2009 sur le site américain Salon.com et a été traduit avec son autorisation. Gabriel Winant y fait un panorama des différentes personnalités politiques conservatrices et centristes, de leur rapports entre eux, et essaie de comprendre quelle pourra être l’issue de cette crise.

Crédits : AP

Il est difficile et nécessaire d’utiliser des méthodes peu ordinaires pour trouver quelle est la situation politique de chacun dans des régimes politiques hermétiques. Durant la Guerre Froide, les Kremlinologues devinaient l’état de la politique de l’URSS en observant qui était présent dans les parades du Parti Communiste, dans quel ordre et comment les portraits étaient ordonnés sur les murs.

L’Iran est partiellement fermée : c’est après tout une élection présidentielle dont on a parlé à travers le monde qui est à l’origine de la crise actuelle, qui implique elle-même des millions de personnes dans les rues –ce qui est donc un mouvement populaire de masse. Essayer de comprendre ce qui se passe signifie payer attention au comportement étrange de l’élite, mais aussi à l’échelle du peuple. On ne peut pas qualifier exactement la politique iranienne de « byzantine » car la politique byzantine ne se décidait que dans des palais. Téhéran c’est ca, Twitter en plus.

A partir de ce que nous pouvons voir de l’étranger, nous avons fait de notre mieux pour rassembler les rumeurs, les ragots, et les connaissances des experts, pour donner une image cohérente de la politique iranienne. Nous allons aller de la droite à la gauche.

Les conservateurs

*Le Président Mahmoud Ahmadinejad : le président est responsable en grande partie de la notoriété actuelle de l’Iran. Elu de la droite, Ahmadinejad a des idées qui sont essentiellement la défense du port du voile pour les femmes, l’assurance maladie pour les pauvres et une politique extérieure belliqueuse. Ancien membre des Gardiens de la Révolution, il a la réputation de vivre simplement, et son populisme lui a permis de se distinguer d’une population qui en a assez des mollahs qui sont perçus comme corrompus et inefficaces.

*Le Leader Suprême l’Ayatollah Ali Khamenei : il est courant de dire que le conflit actuel est un conflit entre les démocrates et les clercs des mosquées. Mais dire que le président Ahmadinejad et l’Ayatollah Khamenei représentent les intérêts du clergé, c’est comme dire que le Président Obama représente les intérêts des politiciens. La vraie question est : lesquels ?

En fait, Khamenei n’est pas une icone parmi le clergé comme l’était son légendaire prédécesseur l’Ayatollah Ruhollah Khomeini. Khamenei n’était même pas un membre de haut rang du clergé quand il a été nommé à ce poste il y a 20 ans. (C’est un peu comme si un simple évêque était élu Pape sans avoir jamais été Cardinal.) Pour étoffer et donner plus d’importance à sa position et s’opposer à la majorité du clergé qui est accusée par le public de corruption et d’incompétence, il s’est allié avec les Gardiens de la Révolution. En promouvant le populisme de droite d’Ahmadinejad, le Leader Suprême a implicitement soutenu la candidature de ce dernier, en pressant les électeurs d’élire un président qui vit « de façon simple et modeste.»

*L’Ayatollah Ahmad Jannati : le président du Conseil des Gardiens est un fidèle support d’Ahmadinejad, et un ennemi d’Israël et des Etats-Unis. Le Conseil des Gardiens, un corps de clercs et d’avocats, est une sorte de Court Suprême théocratique, qui a le dernier mot en ce qui relève de la loi et peut interdire des candidatures lors des élections. Jannati voulait utiliser les pouvoirs du Conseil des Gardiens pour empêcher les réformistes de se présenter : sa promesse de réétudier les résultats de cette élection contestée n’a donc rien de rassurant.

*Le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique : quelques semaines avant les élections, ce corps a prévenu qu’en cas de « révolution de velours » celle-ci serait écrasée. En tant que gardiens de l’héritage révolutionnaire de l’Ayatollah Khomeini, ce n’est pas une simple unité militaire. Ils jouent un rôle important pour les questions de politique intérieure. Certains disent que le régime Ahmadinejad-Khamenei ressemble plus à une dictature populiste et militaire qu’à une vraie théocratie. Khamenei s’est reposé sur ce groupe militaire pour défendre ses idées lors des batailles politiques. Il a veillé à ce que la bureaucratie soit remplie de fonctionnaires loyalistes –Ahmadinejad le premier—quitte à y mettre de l‘argent, en utilisant le Corps pour écraser toute dissension et influencer les élections. Abbas Milani a écrit que Khamenei a fait pression sur les membres du Corps pour qu’ils prennent parti en faveur de Ahmadinejad lors des élections de 2005 contre son rival de toujours Ali Akbar Hashemi Rafsanjani.

*Les milices Basij : si le Corps est un ensemble militaire de premier rang qui a juré de défendre l’ordre politique du régime, les Basij sont les défenseurs dans la rue de celui-ci. Ils sont célèbres notamment pour leurs « vagues humaines » lors de la guerre Iran-Irak. Ils sont recrutés dans les mosquées, les écoles, et sont peut-être plusieurs millions. Les paramilitaires Basij ont été au cœur de la répression de ces derniers jours, sous les ordres des Gardiens de la Révolution.

*Mohsen Rezaei : ancien commandant des Gardiens de la Révolution, Rezaei s’est présenté face à Ahmadinejad comme alternative conservatrice cette année. Avec un score extrêmement bas, il s’est joint aux voix des dissidents pour contester les résultats.

Les centristes

*L’Ayatollah Ali Akbar Rafsanjani. Il est le Zelig de la politique iranienne. Il a été président, il a été porte-parole du parlement, il a dirigé le Conseil du Discernement et est le président de l’Assemblée des Experts. Et il est l’homme le plus riche du pays. Rafsanjani, rival de toujours de Khamenei, a été candidat à nouveau en 2005. Khamenei a tout fait pour aider Ahmadinejad à se débarrasser de son rival.

Depuis, Rafsanjani a tout fait pour faire tomber Ahmadinejad, voire Khamenei. On dit que Khamenei a autorisé le très ascétique Ahmadinejad à utiliser Rafsanjani comme épouvantail, pour essayer de présenter le mouvement réformiste en entier comme corrompu et décadent. Mais cette accusation n’a pas réussi à atteindre Moussavi, même si elle blesse Rafsanjani et la plupart des membres du clergé. En tant de président de l’Assemblée des Experts, un puissant groupe de théologiens, Rafsanjani est un puissant leader religieux, et en tant que milliardaire, n’a pas l’air incorruptible.

La rumeur dit que Rafsanjani essaie actuellement de renverser Khamenei. La fille de Rafsanjani a été vue lors d’une manifestation pro-Moussavi, et le gouvernement vient d’arrêter cette dernière et son frère alors qu’ils essayaient de quitter le pays. Théoriquement, Rafsanjani serait allé à la ville sainte de Qom pour réunir l’Assemblée des Experts, le seul corps qui a le pouvoir de renverser le Leader Supreme. (Personne n’est sûr qu’il s’y soit rendu ou qu’il puisse réunir assez de votes dans cette assemblée de 86 membres.)

*Les Ayatollahs : Si Khamenei n’est pas sur de son statut comme autorité théocratique legitime et comme théologien, ils peuvent lui faire du mal. Des ayatollahs respectées comme Lotfollah Safi Golpaygani, Mohammad Moussavi Khoiniha et Abdolkarim Moussavi Ardabili (ou comme Rafsanjani) ont critiqué le trucage apparent des élections comme un péché contre la République Islamique.

Les Libéraux

*Mir Hossein Moussavi : comme toute figure politique majeure du pays, Moussavi a d’abord été un protégé de Ruhollah Khomeini. Avocat d’une dissolution de la police de la moralité et de l’extension des droits civils, Moussavi a montré, une semaine après avoir « perdu » l’élection, qu’il est le dirigeant iranien libéral le plus intelligent de l’ère moderne, en réussissant à soutenir les manifestants sans les laisser se résoudre à une violence qui serait une catastrophe pour eux.

*L’ancien président Mohammed Khatami : crédité pour avoir réussi à faire revenir le mouvement réformiste sur le devant de la scène politique iranienne, Khatami a réussi à prendre la presidence en 1997 avec 70% des voix. Il a refusé d’être candidat en 2009 en laissant la place à Moussavi, et l’entourage de Khatami joue actuellement un grand rôle auprès de Moussavi.

*Le Grand Ayatollah Hossein Ali Montazeri : le parrain intellectuel du mouvement réformiste. Il a perdu les faveurs du Leader Suprême Khomeini en critiquant le bilan de son action pour ce qui relève des droits de l’homme, ainsi que la torture des dissidents. Montazeri, figure très respectée par le peuple iranien, a été placé sous résidence surveillée. Khamenei, l’actuel leader, avait ensuite été promu à sa place. Montazeri a demandé à l’armée et la police de ne pas « vendre leur religion » en tirant sur la foule.

*Mehdi Karroubi : ancien porte-parole du parlement, Karroubi a été candidat deux fois aux élections présidentielles et un critique des Conseil des Gardiens. En 2005 il a accusé Khamenei et Ahmadinejad d’utiliser le Corps des Gardiens pour influencer les élections. Sa seconde candidature en 2009 a eu les mêmes résultats, et il soutient désormais Moussavi.

Les questions

*L’armée et la police. On a largement observé que sans défense et non armés, les manifestants pro-Moussavi me pourraient pas être capables de faire tomber un régime répressif qui fait tout pour rester au pouvoir. Pour que cela devienne une révolution, il faudrait qu’une partie des forces de sécurité se joigne aux manifestants. Le Conseil des Gardiens a obtenu tellement de choses du régime actuel –quelques uns diraient qu’ils sont le régime – qu’il ne le fera pas. C’est l’objectif même de la création d’armées parallèles par les états répressifs. Rappelez-vous que les Gardiens de la Révolution ne sont ni l’armée ni la police. Des rumeurs nées sur Twitter suggèrent que les forces de sécurité conventionnelles ne seraient pas très heureuses du vol apparent de l’élection, du chaos qui pourrait en sortir, et sont moins loyaux au Leader Suprême que les Gardiens de la Révolution. L’Allemagne nazie avait les SS pour maintenir l’armée dans les rangs. L’Iran a les Gardiens de la Révolution.

Khamenei et Ahmadinejad espèrent que s’ils attendent assez, les manifestants vont se disperser d’eux-mêmes. D’un autre coté, les manifestants sont loin de la victoire. Tant qu’on ne peut pas faire confiance au Conseil des Gardiens pour un recompte honnête, il n’y a donc aucun moyen légal apparent pour permettre à Moussavi de gagner la presidence. Il est très difficile d’imaginer un scenario dans lequel Khamenei recule, investit Moussavi président, la situation redevenant normale.

Cela signifie qu’Ahmadinejad restera au pouvoir sauf s’il perd le pouvoir d’une façon qui n’est pas prévue par la procédure légale. Autrement dit, ou le personnel armé soutient Ahmadinejad, ou une partie suffisante de celui-ci rallie Moussavi et lui donne littéralement une chance de combattre. Et si l’Iran en vient à voir s’affronter les loyalistes Gardiens de la Révolution et une armée dissidente, ce sera une guerre civile, et la situation ne sera plus normale du tout.

Par Gabriel Winant, traduit par Nicolas Condom

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