Les tensions géopolitiques ont conduit la Commission européenne à accélérer ses négociations commerciales avec une série d’Etats tiers, tels que le Mercosur, le Mexique, l’Inde, l’Indonésie, la Thaïlande, la Malaisie, les Philippines. Les accords qui en résulteront s’ajouteront à ceux déjà conclus avec le Canada, le Corée-du-Sud, le Japon, le Chili, le Vietnam et Singapour. Ces accords visent non seulement à abaisser les droits de douane, à simplifier les procédures de contrôle des produits importés, à faciliter l’accès aux marchés publics, à garantir la protection des indications géographiques telles le champagne et le camembert, mais aussi à promouvoir le développement durable.
La signature et la conclusion d’un accord commercial intérimaire et d’un accord de partenariat entre l’UE et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) se retrouvent à nouveau dans l’œil du cyclone. A priori, ces deux accords devraient permettre aux entreprises européennes d’accéder plus aisément au marché des quatre pays sud-américains, qui ont été jusqu’à présent protégés de la concurrence étrangère en raison de leurs droits de douane élevés (35% pour les automobiles, 14 à 20% s’agissant des machines-outils et 14% pour les produits pharmaceutiques). En bref, les droits de douane du Mercosur perçus sur les produits industriels européens seront progressivement diminués. La possibilité offerte aux entreprises européennes de conquérir de nouveaux marchés se traduit par des contreparties, à savoir l’octroi de quotas à l’importation des produits agricoles sud-américains (viande, soja, etc.).
Aux réserves de la France et de la Wallonie, à l’hostilité de la Pologne, aux hésitations de l’Autriche, s’ajoutent désormais la fronde de plusieurs secteurs agricoles redoutant le déferlement de produits agricoles meilleur marché. Face à ce tumulte, la Commission européenne, qui a négocié ces deux projets d’accord depuis 1999, tente de rasséréner tout à la fois les Etats récalcitrants, les agriculteurs, et la société civile, en brandissant les clauses de sauvegarde qu’elle a obtenues du Mercosur. Ces clauses permettront-elles d’atténuer les dommages collatéraux ? À nouveau, le diable se trouve dans le détail.
Tout d’abord, une clause de sauvegarde concernant les produits agricoles sensibles (viandes bovine, ovine et porcine, fromage, etc.) devrait permettre à la Commission européenne de diminuer les quotas des pays du Mercosur en cas d’augmentation trop conséquente des produits importés (10 % par rapport à l'année précédente) ou de diminution des prix (10 % par rapport à l'année précédente). L’État concerné, voire le secteur agricole affecté, pourra tirer la sonnette d’alarme et, partant, solliciter que la Commission initie une enquête. Cette dernière pourrait alors imposer aux produits en provenance du Mercosur des mesures provisoires, voire définitives de maximum quatre ans. Or, ces mesures ne pourront être adoptées que dans des « circonstances exceptionnelles » et que s’il est prouvé que les importations causent un « dommage sérieux à l’industrie de l’Union ». A priori, les effets d’une augmentation conséquente des importations de bœuf argentin sur la seule production bovine française ne permettra pas d’enclencher la procédure. En outre, la Commission pourrait se heurter à des difficultés pratiques pour vérifier le dépassement des seuils de 10%, s’agissant de la détermination, de l’étendue et de la temporalité des marchés affectés par les produits agricoles importés. Enfin, elle sera la seule à décider d’appliquer les mesures de sauvegarde, les États affectés et les secteurs concernés ne pouvant que solliciter son intervention.
L’Union et ses Etats membres pourraient boire le calice jusqu'à la lie le jour où le régime de « rééquilibrage » sera activé par un des pays du Mercosur. Quasiment inédit en droit du commerce international, ce mécanisme permettrait aux États du Mercosur d’obtenir des compensations dans le cas où leurs attentes en terme d’augmentation de leurs explorations ne seraient pas rencontrées en raison de la mise en œuvre d’un nouveau dispositif juridique européen (l’interdiction d’une substance active dans un pesticide). L’État lésé ne devra pas démontrer la violation d’une obligation prévue par les traités commerciaux ; la seule atteinte à ses attentes légitimes suffira. Cerise sur le gâteau, les demandes de compensation seront tranchées par un tribunal arbitral et non par une juridiction internationale. Source de divergences d’interprétation entre la Commission européenne et le Brésil, ce mécanisme pourrait non seulement mettre en cause plusieurs règlements climatiques et environnementaux, adoptés en 2024, lesquels ne sont pas encore entrés en vigueur dans leur intégralité, mais aussi induire, à l’avenir, un risque d’inhibition normative.
En ce qui concerne l’aggiornamento des clauses de durabilité (principe de non régression, haut niveau de protection, etc.), on reste sur sa faim. A l’exception de celle interdisant d’ici 2030 la déforestation, particulièrement prononcée en Bolivie et au Brésil, elles n’ont pas de portée contraignante.
Cent quarante-cinq eurodéputés des groupes PPE, Socialistes et démocrates, Renew, La Gauche et Verts ont récemment déposé une résolution sollicitant la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne quant à la compatibilité des deux projets de traités UE-Mercosur, y compris leurs clauses de sauvegarde, avec les règles fondamentales de l’Union. Le 19 novembre, la Conférence des présidents du Parlement européen, présidée par la présidente Metsola, a rejeté leur proposition de résolution au motif que le Conseil des ministres de l’UE n’avait pas encore sollicité l’approbation de l’assemblée parlementaire. Cette décision semble renvoyer aux calendes grecques l’examen de la compatibilité de ces traités avec le droit de l’UE. Si la Cour devait rendre un avis défavorable quant à la légalité de ces deux accords, l'exécutif européen filerait du mauvais coton, compte tenu des divisions que susciteront ses erreurs d’aiguillage.