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Billet de blog 26 février 2023

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Pourquoi s’intéresser encore à la chose littéraire ?

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À notre époque, pour quelle raison s’intéresser encore à la chose littéraire ? Lorsque les indicateurs affichent un effondrement majeur des ventes de livres, et ce malgré une surproduction. Pour quelle raison encore écrire, et pour qui ? Lorsque les statistiques affichent clairement la disparition des lecteurs, comme celle de la biodiversité, lorsque la presse écrite hebdomadaire est en chute libre. Pour quelle raison encore continuer le métier de l’édition lorsque, grâce à nos multi-écrans présents partout, à toute heure de la nuit ou du jour, nous sommes capables de nous concentrer sur une seule tâche un maximum de neuf secondes. Oui, neuf secondes. Selon une étude de Microsoft, la capacité d’attention d’une personne serait donc inférieure à celui d’un poisson rouge.

Pour quelle raison s’évertuer à être écrivain face à cet autre monde de l’image qui a tout balayé sur son passage tel un tsunami : par exemple, la progression des utilisateurs rien que sur le réseau social TikTok est fulgurante : un milliard d’utilisateurs actifs mensuels, un temps de moyen d’utilisation environ cinquante minutes par jour, cent soixante-sept millions de vidéos vues en une minutes, des milliers d’influenceurs suivis par des milliers, voire des millions de followers. Des chiffres hallucinants qui pousserait à la dépression Gutenberg et donneraient le vertige à Sylvain Tesson. Pour quelle raison choisir d’être éditeur lorsque le tirage moyen d’un livre n’excède pas les cinq mille exemplaires, dont une grande majorité se vend à moins de cinq cents exemplaires. Pour quelle raison encore écrire et éditer des textes en prose ? Lorsque dans nos sociétés pressées et stressées, seul compte le dictat de la performance et de la rentabilité.

Alors lire, écrire et éditer à quoi bon ? Certes. Quel intérêt à l’heure de la globalisation, de l’uniformisation et du contrôle des masses, d’observer l’existence, de sentir l’infime, de marquer des arrêts sur image, de décrire le quotidien dans un univers occidental où nous sommes bousculés, malmenés et sollicités en permanence ? Revenir au temps long de la lecture ? Cela semble si désuet, décalé, voire grotesque. J’en conviens. Devant la puissance des réseaux sociaux, aux millions de vues pour une vidéo de chats, une paire de fesses, une tenue vestimentaire glamour, un plongeon dans une piscine de champagne… il y a de quoi se questionner sur la valeur et parfois, avec un peu de recul, s’étonner sur le sens de tout cela.

Réponse du professeur John Keating (le magistral acteur, feu Robin William) : « On ne lit pas et on n’écrit pas de la poésie parce que ça fait joli. Nous lisons et nous écrivons de la poésie parce que nous faisons partie de la race humaine ; et que cette même race foisonne de passions. La médecine, la loi, le commerce et l’industrie sont de nobles occupations, et nécessaires pour la survie de l’humanité. Mais la poésie, la beauté et le dépassement de soi, l’amour : c’est tout ce pour quoi nous vivons. Écoutez ce que dit Whitman : " Ô moi ! Ô vie !… Ces questions qui me hantent, ces cortèges sans fin d’incrédules, ces villes peuplées de fous. Quoi de bon parmi tout cela ? Ô moi ! Ô vie ! ". Réponse : que tu es ici, que la vie existe, et l’identité. Que le spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime. Que le spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime… Quelle sera votre rime ? »

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