Depuis 2022, l’exécutif français multiplie les déclarations en faveur d’une démocratie plus participative. Emmanuel Macron promet de « réinventer la manière de faire de la politique », Olivia Grégoire invoque la « co-construction » avec les citoyens, Gabriel Attal défend des consultations pour « rapprocher la politique des Français », et Aurore Bergé célèbre l’écoute des « victimes et des experts » comme fondement démocratique. Ces références constantes au dialogue, à la transparence et à l’implication citoyenne donnent l’illusion d’un pouvoir à l’écoute.
Mais cette rhétorique ne résiste pas à l’épreuve des faits. Derrière les formules, la démocratie participative reste à géométrie variable : valorisée lorsqu’elle sert à légitimer l’action gouvernementale, ignorée ou délégitimée dès qu’elle entre en contradiction avec l’agenda politique. L’analyse des décisions majeures prises entre 2022 et 2025 le montre sans ambiguïté.
La réforme des retraites de 2023, imposée via le 49.3 malgré une opposition massive et documentée (manifestations de plusieurs millions de personnes, 70 % d’opinions défavorables selon les sondages, RIP rejeté), incarne ce déni. Les conventions citoyennes n’ont pas été mobilisées, le Conseil national de la refondation (CNR), pourtant présenté comme un nouveau creuset participatif, n’a jamais été saisi. Les syndicats ont été accusés de « populisme », les mobilisations qualifiées de « radicalisées ». Le pouvoir a répondu par la fermeture, tout en continuant à brandir la bannière du dialogue.
La loi Duplomb, votée en 2025 pour réintroduire l’acétamipride — un néonicotinoïde interdit depuis 2018 — malgré une pétition citoyenne record de plus de deux millions de signatures, poursuit la même logique. Le gouvernement n’a pas seulement ignoré cette mobilisation inédite ; il l’a activement disqualifiée. Aurore Bergé parle de « désinformation massive », Laurent Duplomb dénonce une « instrumentalisation par l’extrême gauche », Annie Genevard évoque un « radicalisme écologique ». Le débat n’a pas eu lieu. L’ANSES a été sollicitée trop tard et sans que cela n’ait de valeur contraignante. Là encore, les mécanismes participatifs sont neutralisés, vidés de leur substance.
On retrouve le même schéma sur les mégabassines, malgré les alertes scientifiques (INRAE), les protestations locales massives et les pétitions : les opposants sont traités en « zadistes », « éco-terroristes » ou « ennemis de la République ». Sur les violences policières, les commissions citoyennes proposées par des ONG ont été écartées, les critiques assimilées à du « militantisme anti-flics ». Quant à la reconnaissance de l’État palestinien, le gouvernement renvoie systématiquement à un « temps diplomatique », sans consultation, en minimisant les mobilisations et en caricaturant leurs porte-paroles.
Dans tous ces cas, les instruments participatifs — pétitions, consultations, conventions — ne sont reconnus que s’ils confirment les choix de l’exécutif. S’ils les contestent, ils sont discrédités. Le gouvernement mobilise alors un lexique rodé : « populisme », « manipulation de l’opinion », « radicalisme », « manque de compétence scientifique », ou encore « impératif de responsabilité économique ». Ces éléments de langage permettent d’éviter tout débat de fond tout en revendiquant une posture rationnelle et mesurée.
Ce double discours révèle une conception strictement verticale de la démocratie : la participation est tolérée tant qu’elle ne remet pas en cause le pouvoir de décider seul. C’est la logique technocratique de la Ve République portée à son paroxysme. Comme le résume le politologue Loïc Blondiaux : « Le pouvoir est extrêmement concentré, et la participation citoyenne peu valorisée » (Franceinfo, juillet 2025).
Le Conseil national de la refondation, les consultations numériques, les pétitions parlementaires ou les conventions citoyennes ne sont pas des avancées en soi s’ils ne s’accompagnent d’aucun effet contraignant. Ils servent alors d’alibi, d’instrument de communication, voire de diversion. Ce fonctionnement entretient la défiance, fragilise la légitimité démocratique, et pousse une part croissante de la population vers l’abstention, le repli ou la colère.
Faire vivre une véritable démocratie participative supposerait des ruptures institutionnelles : élargissement du recours au référendum, reconnaissance juridique des conventions citoyennes, encadrement du 49.3, renforcement des contre-pouvoirs indépendants. Sans cela, les appels à la participation resteront des mots creux, recyclés au gré des crises pour éviter d’affronter la réalité : celle d’un pouvoir qui n’écoute que lorsqu’on est d’accord avec lui.