En temps normal, je me tais. J’essaie de ne m’exprimer publiquement qu’à propos des sujets sur lesquels je travaille en tant que journaliste.
Mais les temps actuels me semblent un peu moins « normaux » que ceux que j’ai pu connaître. En fait, rien, dans la sphère politico-médiatique tout du moins, ne me semble plus « normal », ces jours-ci. Tout paraît avancer de travers.
Le débat public, en France, ressemble à un vieux moteur rafistolé, une pétoire conçue par un professeur Tournesol sous acide : ça fume, ça gémit, ça pisse de l’huile, ça peut exploser à tout moment. Ça peut incendier la baraque au passage.
Un certain nombre de nos représentants paraissent « déboussolés », au sens strict, comme s’ils n’avaient plus de cap, plus de nord, plus de fondations. Girouettes en sursis, ils s’accrochent aux vents dominants. Et les vents viennent inlassablement, depuis quelques années, de l’océan réactionnaire qui s’est ouvert, à l’échelle mondiale, au beau milieu du continent post-11-Septembre.
Ces vents sont acides et rêches, chargés d’odeurs qu’on n’avait pas humées aussi distinctement, dans l’Hexagone, depuis les années 1930.
Je pense que la situation est dangereuse et qu’il n’est pas inutile de le dire.
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Mercredi 18 octobre 2023, Valérie Boyer, sénatrice des Bouches-du-Rhône et vice-présidente nationale des Républicains, a publié un communiqué dans lequel elle réclamait la « déchéance de nationalité de Karim Benzema ».
Deux jours plus tôt, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, avait répondu à l’invitation de la chaîne de télévision CNews, propriété du milliardaire breton Vincent Bolloré, plusieurs fois mise en demeure voire sanctionnée par le CSA pour « incitation à la haine ou à la violence », « absence de diversité des points de vue exprimés », « publicité clandestine » et mise en demeure par l’Arcom pour « manquement à l’obligation d’honnêteté et de rigueur de l’information ».
Sur le plateau de l’animateur Pascal Praud, Gérald Darmanin a affirmé que Benzema est « en lien […] notoire avec les Frères musulmans ».
La « faute » de Karim Benzema ? Avoir publié un message de soutien aux « habitants » de Gaza, « victimes » de « bombardements injustes ». Karim Benzema n’avait pas eu la même sollicitude pour les centaines de victimes israéliennes après les attentas perpétrés par le Hamas, ce qui n’a pas échappé à Gérald Darmanin, le Zorro des réseaux.
Aucun élément factuel ne permet d’affirmer (à ma connaissance) que Karim Benzema est en lien avec les Frères musulmans. Par ailleurs, Benzema est français depuis sa naissance. Il est techniquement impossible de lui enlever sa nationalité (quand bien même une telle procédure serait d’une quelconque utilité).
On peut penser ce qu’on veut de Benzema, de ses Rolex, de son zèle religieux, de son exil saoudien. Mais on ne peut pas – surtout quand on est élu – exiger qu’il ne soit plus français. Quant à l’accuser sans preuve, sur un plateau de télévision, d’une supposée proximité avec les Frères musulmans… Cela relève de surprenantes méthodes. Ce sont celles du ministre de l’intérieur de la France, en l’an de grâce 2023.
Notons que ce même Gérald Darmanin s’était livré, deux ans plus tôt, dans un Manifeste pour la laïcité publié sous son nom, à une complaisante évocation des mesures de Napoléon pour l’« intégration » des juifs, qui relevaient en fait, à bien des égards, de l’antisémitisme d’Etat. L’empereur, écrivait M. Darmanin, « s’intéressa à régler les difficultés touchant à la présence de dizaines de milliers de juifs en France. Certains d’entre eux pratiquaient l’usure et faisaient naître troubles et réclamations ».
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Ces outrances télévisuelles étaient proférées quelques heures seulement après qu’un professeur d’histoire eut été assassiné par un terroriste islamiste, à Arras, et quelques jours après qu’une série d’attaques terroristes eurent enflammé le Proche-Orient.
Le contexte est brûlant ? Ajoutons de l’essence !, semblaient penser certains élus, ministres et personnalités publiques – ceux-là mêmes qui auraient dû trouver les mots et les gestes de l’apaisement.
A quoi a « servi » cette polémique ?
A-t-elle été déclenchée pour elle-même, ou bien comme écran de fumée, pour éclipser les sujets de fond, pour abonder des intérêts politiciens ?
Le terrorisme islamiste est un danger grave. Il existe selon moi un danger encore plus grave : les conséquences du terrorisme islamiste. Ce qu’on en « fait » collectivement. Choisit-on l’union ou la fracturation ? Agit-on à la racine ou sur l’écume ?
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Récemment, des élus (surtout de droite) et des intellectuels ont abondamment reproché à certains leaders de gauche leur manque de clarté sur la question israélo-palestinienne et les attaques terroristes du Hamas. Ils n’avaient pas forcément tort : à l’évidence, une partie de la gauche est incapable de tenir une position intelligible sur ce sujet, au demeurant extrêmement complexe.
Il faut dire que l’époque n’est pas très friande de complexité : les nuances de gris n’intéressent ni les algorithmes de « X », ni les éditocrates aboyeurs.
LFI montrait au grand jour ses failles et ses contradictions ? La meute avait son os. Qu’importe si, parmi les élus et intellectuels hurlant au scandale, se trouvaient des individus qui ne tarissaient pas d’éloge, avant l’invasion de l’Ukraine, sur l’« autorité » et la « vision » de Vladimir Poutine.
Car, oui, ceux-là même qui se sont compromis, franchement ou moins franchement, avec les intérêts mafieux en vigueur à Moscou, ont donné des leçons de droiture et de géopolitique quand Israël subissait des attaques terroristes et quand les bombes pleuvaient sur Gaza.
Ceux-là même qui ne ratent jamais une occasion de déplorer le manque de soutien de l’Occident envers l’Arménie, ont vitupéré contre les élus qui ne prenaient pas clairement position « en faveur d’Israël » et contre le Hamas… alors même qu’Israël apporte, par ailleurs, un important «soutien stratégique» (en fournissant des armes, notamment) à la dictature au pouvoir en Azerbaïdjan, responsable de la guerre éclair qui a chassé la population arménienne de l’enclave du Haut-Karabagh.
Est-ce bien sérieux ?
Ces derniers temps, des responsables du Rassemblement national, héritier d’un parti fondé notamment par un ancien Waffen SS, et dont des sympathisants et cadres ont cultivé des proximités avec des mouvements ouvertement antisémites, racistes et xénophobes, ont fustigé les personnalités qui n’exprimaient pas un soutien sans faille à la politique du gouvernement israélien.
Est-ce bien sérieux (bis) ?
L’opportunisme et le cynisme se marient avec tant de nonchalance, dans la France des années 2020, qu’ils passent presque inaperçus.
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Tout cela survient dans un contexte très particulier. Dans un pays qui a élu à deux reprises un président « libéral », en 2017 et 2022, un certain nombre de libertés ont été rabotées. Les manifestations de soutien au peuple palestinien ont été purement et simplement interdites, dans un premier temps, par le ministère de l’intérieur. Aucun autre gouvernement au monde n’a fait ce choix. Le Conseil d’Etat a remis l’église au milieu du village en indiquant qu’une interdiction systématique n’était pas fondée.
Avant cela, de nombreuses autres manifestations avaient été frappées d’interdiction – ça devient une habitude. Beaucoup ont connu une sévère répression. Le mouvement contre la réforme des retraites a été émaillé de violences policières qui ont entraîné des récriminations de la part du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies.
Mais circulez : il n’y a officiellement aucun problème avec la doctrine française du maintien de l’ordre. Bien entendu, nous n’avons pas affaire, non plus, à un exécutif qui utiliserait les forces de l’ordre comme « dernier rempart » pour imposer ses vues. Le ministre de l’intérieur a d’ailleurs déclaré, face caméra, le 18 octobre 2023 : « La haine du juif et la haine du flic se rejoignent. » Fermez le ban.
Dans un autre registre, ces dernières années, des activistes et militants écologistes ont été traqués et surveillés. On a vu fleurir, dans la bouche de hauts responsables, le terme « écoterroriste ». Rappelons qu’à l’échelle mondiale, en 2022, 177 militants écologistes ont été assassinés à cause de leurs actions ou prises de position, selon l’organisation internationale Global Witness.
Rappelons également que des dangers bien plus vitaux que le terrorisme nous menacent tous : l’effondrement du vivant, le chaos climatique, l’acidification des océans, l’altération des sols…
Au printemps 2023, Gérald Darmanin, encore lui, s’en est pris à la Ligue des droits de l’Homme, vieille institution qui a défendu Dreyfus, les droits sociaux, ceux des femmes et des étrangers.
Dans son rapport annuel publié en 2023, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, autrement dit le gendarme des services secrets, s’est alarmée de la hausse des demandes de surveillance concernant l’activisme politique.
Mardi 19 septembre 2023, la journaliste indépendante Ariane Lavrilleux a été arrêtée chez elle, à l’aube, puis placée en garde à vue durant 39 heures. En cause : ses enquêtes consacrées aux ventes d’armes françaises à l’étranger, plus précisément aux dérives de la coopération militaire entre la France et l’Egypte. Une quarantaine de sociétés de journalistes ont dénoncé une « situation gravissime » et « une attaque sans précédent contre la protection du secret des sources ».
Le 16 septembre 2022, la Commission européenne a présenté le Media Freedom Act, un projet de texte qui « vise à garantir des médias libres et à assurer leur pluralité ». Selon plusieurs ONG, la France a été à la manœuvre pour amender ce texte afin de permettre aux Etats de surveiller électroniquement des journalistes.
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En 2023, la France pointait à la 24e place au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
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Avant l’été 2023, une majorité de journalistes du Journal du dimanche ont entamé une grève inédite. La rédaction refusait la nomination d’un nouveau rédacteur en chef en la personne de Geoffroy Lejeune. Connu pour ses positions très à droite qui lui ont valu d’être remercié par la direction de Valeurs Actuelles (!), ce proche d'Éric Zemmour et ami de Marion Maréchal a été parachuté au JDD par le propriétaire du journal, Arnaud Lagardère, à la tête d’un groupe dont l’actionnaire principal est depuis peu… le milliardaire breton Vincent Bolloré.
Après 40 jours de grève, l’équipe éditoriale a plié. Beaucoup de journalistes ont quitté le navire. Et le JDD s’est « bollorisé », comme tant d’autres médias français devenus, en quelques années, les chambres d’écho d’une pensée réactionnaire et les matrices d'une manipulation de l’opinion à grande échelle.
Depuis septembre 2023, plusieurs ministres ont donné des interviews au JDD « nouvelle formule », cautionnant de fait le coup de force éditorial de Lagardère.
Le 29 septembre 2023, dans une émission diffusée sur CNews, l’animateur Pascal Praud s’interrogeait concernant la possibilité que les infestations de punaises de lit soient liées, en France, à l’«immigration » :
« Est-ce qu'on sait pourquoi il y a plus de punaises de lit aujourd'hui ? Est-ce lié à l'hygiène ? Je vais poser toutes les questions... Il y a beaucoup d'immigration en ce moment. Est-ce que c'est les personnes qui n'ont pas les mêmes conditions d'hygiène que ceux qui sont sur le sol de France qui les apportent, parce qu'ils sont dans la rue, parce que peut-être n'ont-ils pas accès à tous les services comme les autres ? Est-ce que c'est lié à cela ? »
Toute ressemblance avec une époque où la «puanteur» et la «malpropreté» des juifs étaient dénoncées par des auteurs antisémites est, bien sûr, absolument fortuite.
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Il faut le dire et le redire, parce qu’on a parfois l’impression que ça n’est pas réel : tout cela est prononcé publiquement, en France, dans des médias à forte audience. Il ne s’agit pas de quelque torchon vendu à 500 exemplaires sur abonnement. Non.
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A partir des années 1990, la chaîne de télévision Fox News, mise sur orbite par des « faucons » proches de la droite conservatrice américaine, a inondé les foyers d’informations sensationnalistes voire fausses et d’un populisme jouant sur les cordes sensibles : le prétendu « déclin » national, les « problèmes » insolubles liés aux étrangers, la « censure » des « médias de gauche », etc.
Vingt ans plus tard, Donald Trump était élu.
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En 2022, Eric Zemmour se présentait à l’élection présidentielle française. Avant cela, le polémiste réactionnaire avait été condamné plusieurs fois par la justice, notamment pour « provocation à la haine et à la violence », « provocation à la discrimination raciale » et « provocation à la haine religieuse ».
Zemmour a perdu, mais il a engrangé presque 2,5 millions de voix au premier tour.
Autant dire qu’il a gagné.
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Les nouveaux hérauts de la « réaction » identitaire ont progressivement imposé leur petite musique. Jamais avares d’amalgames, ils pourfendent la « bien-pensance » (de quoi s’agit-il, au juste ?), l’« islamogauchisme », le « wokisme », l’«écologisme», présentés comme des menaces existentielles.
De très « sérieux » éditorialistes et de très « modérés » élus ont repris ce catéchisme à leur sauce : à les entendre, en ce début de XXIe siècle, les véritables périls ne seraient pas les chocs environnementaux et les replis identitaires, non, mais les actions spectaculaires de militants écologistes à bout de nerfs et les revendications d’une partie de la jeunesse ulcérée par les postures virilistes et individualistes du vieux monde.
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Dès lors, l’ennemi est désigné : c’est le sympathisant de gauche, forcément « gauchiste », c’est l’artiste « engagé », c’est l’écolo «utopiste», le syndicaliste « planqué », le journaliste « vendu », le «bobo» nécessairement « déconnecté », l’écoterroriste – bien sûr. C’est le « militant » : car oui, même ce mot, héritier d’une longue histoire de luttes pour les droits des femmes, des ouvriers, des paysans, des minorités, est devenu, dans la bouche de certains, une insulte. On est désormais un « militant » comme on était jadis un «agent» de quelque puissance étrangère.
Heureusement pour lui, le prof, longtemps désigné comme le parasite improductif en chef, est désormais un peu épargné – ça ne sert à rien de tirer sur les ambulances.
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Depuis quelques années, les intimidations, agressions, menaces et violences commises par des groupuscules d’extrême droite se sont multipliées en France. Des « milices » se sont formées çà et là. A Paris, en 2022, un rugbyman argentin a été assassiné par balles suite à une altercation avec des militants proches de l’ultradroite néofasciste.
En mars 2023, Yannick Morez, maire (divers droite) de Saint-Brévin-les-Pins, a été victime d’un incendie volontaire à son domicile. Ses deux voitures et une façade de sa maison ont pris feu. Après l’annonce du projet d’installation d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile dans sa commune, l’élu était devenu la cible de groupuscules fascisants. Il a subi menaces et intimidations pendant des mois.
Le gouvernement a d’abord brillé par son silence, avant de tenter un repêchage après que Yannick Morez a démissionné.
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Après la tempête provoquée par la réforme des retraites, le président de la République s’est donné « cent jours » pour «apaiser» la société française. Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a résumé à cette occasion la feuille de route de l’exécutif : «Travail, ordre, progrès.»
Travail.
Ordre.
Progrès.
Ce slogan n’est pas sans rappeler la devise de la République : «Liberté, égalité, fraternité.»
A moins qu’il ne renvoie à d’autres mots. A une autre époque.
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Dans une tribune publiée par Le Monde après la déclaration d’Olivier Véran, le philosophe Saïd Benmouffok, l’avocat Jean-Pierre Mignard et le juriste Béligh Nabli affirmaient que le choix des mots « travail », « ordre » et « progrès » témoignait de l’avènement d’un « néolibéralisme autoritaire ».
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Cette analyse fait écho aux travaux de l’écrivain indien Pankaj Mishra. Dans L’Age de la colère, une histoire du présent (Zulma, 2019), essai vertigineux, cet intellectuel convoque Rousseau, Dostoïevski et l’histoire de l’Occident depuis le XVIIIe siècle pour éclairer le Brexit, l’élection de Donald Trump, la montée de l’extrême droite en Europe, des nationalismes en Inde, en Turquie ou en Russie, ainsi que la prolifération du terrorisme islamiste.
Ces événements ne sont pas, selon lui, « le résultat de situations propres à chaque pays, encore moins d’un choc des civilisations », mais le fruit « d’un mécanisme inhérent au modèle politique occidental accouché des Lumières – démocratie libérale et économie de marché – qui, depuis la chute du mur de Berlin, s’applique de manière brutale à des milliards d’individus ».
En d’autres termes, le libéralisme hérité des Lumières, fourvoyé pour servir prioritairement les intérêts d’une minorité «éclairée», fournirait le carburant de colères hétéroclites. La montée actuelle des tensions à l’échelle mondiale résulterait d’une colossale accumulation de « ressentiment » face aux « promesses non tenues de la modernité ».
Et si le « néolibéralisme autoritaire » était le stade ultime de la déliquescence du libéralisme né dans l’Europe des Lumières ? Et si l’égarement moral d’un certain nombre de responsables politiques et économiques actuels était le symptôme d’un « réflexe de survie », déclenché à la hâte (parfois inconsciemment), alors que gronde, dans les soutes, la demande de nouvelles règles du jeu, d’un rééquilibrage pour plus de justice sociale, économique et fiscale, d'un autre rapport au temps, au travail, à la technique et au vivant ?
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Récemment, toujours dans Le Monde, un député macroniste s’inquiétait, sous couvert d’anonymat, de la « logique sécuritaire » et de la « mécanique redoutable » à l’œuvre actuellement en France. Et d’ajouter :
« Un jour on se retournera, et on verra qu’on ne vit plus dans le même monde et qu’on en est responsables. » Au journaliste qui lui demandait s’il était d’accord pour que son nom soit cité, le parlementaire répondait : « Surtout pas ! […] tout cela est indicible aujourd’hui […] C’est triste, mais c’est comme ça. »
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Je ne pense pas, contrairement à ce député, que tout cela soit «indicible». Non. Inaudible, à la rigueur. Mais pas indicible. Certains ne veulent pas entendre cette réalité ? Qu’importe. Il est toujours possible de la dire. Il faut juste s’éclaircir un peu la voix, prendre une grande inspiration, et poser les choses.
Voilà : la France est sur une pente glissante qui la conduit vers l’inconnu. Le pouvoir en place depuis 2017 s’est enferré dans un durcissement autoritaire qui l’amène à flirter, dans certains cas, avec une approche qu’on dirait « illibérale » ailleurs.
Le pays connaît une droitisation notable, voire une extrême-droitisation, nourrie par des médias devenus les bras armés d’un projet idéologique porté notamment par un certain Vincent Bolloré. Les gouvernements récents n’ont rien fait pour endiguer cette vague. Au contraire. Ils ont donné du crédit aux organes les plus réactionnaires. Persuadés (peut-être à juste titre) d’avoir «l’opinion» avec eux, des dirigeants ont mené des politiques sécuritaires, parfois liberticides, au mépris des valeurs fondamentales de la démocratie française.
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Ne jamais oublier que d'autres dirigeants inconséquents, dans un autre pays, ont, par lâcheté et par naïveté autant que par intérêt et par opportunisme, donné les clés du pouvoir à un célèbre dictateur moustachu dans les années 1930.
Beaucoup de voix se sont tues à l’époque.
Beaucoup de voix françaises se taisent aujourd’hui.
Ne jamais oublier que le fascisme commence avec des idées, des mots et des livres.
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Je ne présage pas de l’avenir. J’espère être alarmiste. Je serais heureux que les faits me donnent tort. Ce serait bon pour mes angoisses. Je pense cependant qu’exprimer tout cela n’est pas vain. Et qu’il serait lâche, alors que je bénéficie d’une petite caisse de résonance liée à mon activité de journaliste, de regarder ailleurs.
Plus égoïstement, je veux avoir quelque chose à répondre si jamais, un jour, mes enfants me demandent : t’as fait quoi, papa, quand «ça» a commencé ?
Nicolas Legendre, journaliste, auteur de Silence dans les champs, prix Albert-Londres 2023
Octobre 2023-juin 2024