Nicolas MAXIME (avatar)

Nicolas MAXIME

Travailleur social

Abonné·e de Mediapart

9 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 octobre 2023

Nicolas MAXIME (avatar)

Nicolas MAXIME

Travailleur social

Abonné·e de Mediapart

Loi « plein emploi » : la réforme indigne du RSA

La loi Plein Emploi a été adoptée le 10 octobre. Ce billet présente les enjeux et les conséquences du conditionnement du RSA à des heures d'activité professionnelles : accentuation de la précarisation des allocataires, privatisation de l'accompagnement social.

Nicolas MAXIME (avatar)

Nicolas MAXIME

Travailleur social

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 13 octobre 2018, j'écrivais déjà un article sur l'indécent projet d'Emmanuel Macron visant à fusionner les minima sociaux dans un revenu universel d’activité. Ce papier alertait des risques de dégradation des conditions des bénéficiaires des minima sociaux. Je n'imaginais pas quelques années plus tard que Macron oserait l'indigne : faire payer à ceux qui sont déjà en difficulté le prix de leur pauvreté en conditionnant leur seul revenu de subsistance à des heures d'activité. Alors que l'inflation frappe plus durement nos concitoyens les plus fragiles, que le nombre de SDF ne cesse inexorablement d'augmenter, il y aurait pourtant beaucoup et mieux à faire pour lutter contre la pauvreté. C'est ce que je m'efforce à expliquer dans cet article en espérant que les lecteurs comprendront que loin d'être des assistés ou des profiteurs, les bénéficiaires du RSA sont surtout laissés pour compte et désormais ciblés par une réforme qui risque fortement d'aggraver leur précarisation.

La loi Plein Emploi a été adoptée le 10 octobre. 15h à 20h d'activités par semaine seront imposées aux allocataires et des sanctions automatiques sans considération pour les difficultés individuelles vont être engagées à l'égard de ceux qui ne respecteront pas ces nouvelles conditions allant jusqu’à la suspension du RSA. Seules les personnes présentant “des difficultés particulières en raison de leur état de santé, de leur handicap ou leur invalidité" (https://informations.handicap.fr/a-rsa-pas-obligation-activite-cas-de-handicap-35641.php) pourront en être exemptées (les mères isolées sans solution de garde devraient également être exclues de ce dispositif même si cela paraît beaucoup plus flou, d’autant que l’article 10 sur le service public de la petite enfance a été supprimé par les députés).

Illustration 1

Du RMI au RSA : l’échec des politiques d’insertion

Face à la pauvreté grandissante causée par le chômage de masse, le gouvernement Rocard décide d’instaurer le revenu minimum d’insertion (RMI). L’idée est simple. Il s’agissait de verser un minimum vital aux personnes exclues sans ressources en échange duquel les bénéficiaires devaient s’engager à signer un contrat d’insertion pour sortir le plus rapidement de leur situation.

Considéré comme une trappe à pauvreté par certains, comme un dispositif favorisant “l’assistanat” et la fainéantise par d'autres, le RMI est remplacé par le revenu de solidarité active (RSA) en 2009. Le RSA, mis en œuvre par Martin Hirsch, se veut plus incitatif, car il permet plus facilement de cumuler revenu de solidarité et revenus d’activités. On passe du contrat d’insertion, conçu à l’origine comme un support du droit à la participation sociale, à un contrat d’engagement réciproque (CER) où l’on formalise la logique de droits et de devoirs du bénéficiaire ; du droit à l’insertion à l’obligation d’insertion. Les conseils départementaux ont la possibilité d’appliquer des sanctions en cas de rendez-vous loupés ou d'engagements non tenus par l'allocataire, ce qui d'ailleurs se révèle inefficace et engendre de la défiance envers les travailleurs sociaux.

Loin d’avoir favorisé le retour à l’emploi, le nombre de bénéficiaires du RSA n’a cessé d’exploser. En effet, l’Etat ne donne pas aux départements les moyens nécessaires pour pouvoir accompagner au mieux les allocataires. En 2019, seulement 15 % des dépenses étaient consacrées à l’insertion ((Rapport de la Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022).

Débat RMI à l'Assemblée nationale en 1988

Le RSA : une autre réalité que celle de l'assistanat véhiculée par les médias et l’opinion publique

Dès lors, la théorie de l’assistanat, alimentée par les médias et les politiques, va rencontrer un écho grandissant auprès de la population. A la mise en place du RSA, Nicolas Sarkozy, président de la République française, demandait dans son discours que l’allocation soit suspendue après deux refus d’offres d’emploi ou de formation (Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la généralisation du Revenu de solidarité active et son financement, à Changé (Mayenne) le 28 août 2008, https://www.vie-publique.fr/discours/171998-declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-la-republique-sur-la-ge).

En 2011, Laurent Wauquiez parlait de l'assistanat comme d’un cancer (Interview de Laurent Wauquiez le 8 mai 2011 sur Europe 1 où il déclare : « Cette question de la différence entre le travail et l'assistanat est aujourd'hui l'un des des vrais cancers de la société française parce que ça n'encourage pas les gens à reprendre un travail, parce que ça décourage ceux qui travaillent. » https://www.europe1.fr/politique/Wauquiez-l-assistanat-est-un-cancer-315908).

En 2018, Macron affirmait que les minima sociaux coûtent un pognon de dingue (« Un pognon de dingue » est une expression extraite d'une petite phrase prononcée par le président de la République française Emmanuel Macron au palais de l'Élysée le soir du 12 juin 2018, à l'occasion d'un entretien informel avec ses conseillers et publiée sur le réseau social Twitter le même jour. Il déclare : « La politique sociale, regardez : on met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens, ils sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens qui naissent pauvres, ils restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres, ils restent pauvres. On doit avoir un truc qui permette aux gens de s’en sortir. » Cliquez sur le lien suivant pour voir la vidéo).

Macron s'enflamme : "On met un pognon de dingue dans les minima sociaux" © L'Obs

Cependant lorsqu'on s'intéresse de plus près aux chiffres, le RSA, dont la dépense annuelle est estimée à 12 milliards d’euros (DREES, Minima sociaux et prestations sociales, Ménages aux revenus modestes et redistribution, Édition 2021), ne représente qu’à peine 1.5 % de l’ensemble des prestations sociales (La France consacre 33,3 % de son produit intérieur brut (PIB) à la protection sociale, soit 834 milliards d'euros par an. La protection sociale en France et en Europe en 2021, Résultats des comptes de la protection sociale, Édition 2022).

L’assistanat, c’est ce néologisme inventé par les néolibéraux pour tenir les pauvres comme responsables. La logique néolibérale fait de la responsabilité individuelle un postulat de base. En effet, chaque individu est doté d’un libre arbitre lui permettant ainsi de penser et d’agir librement. Peu importe l’environnement social ou le contexte familial dans lequel aurait évolué cet individu, il est responsable et doit assumer ses actes. Les pauvres auraient donc choisi de le devenir et ils doivent en assumer les conséquences. Pour cela, ils ne doivent pas profiter indéfiniment de la solidarité sans faire les preuves de leur bonne volonté.

La théorie de l’assistanat permet d’éviter de remettre en question le système économique dont la responsabilité ne pèse plus sur les politiciens, les multinationales ou les ultra riches mais sur les plus précaires. Ce discours culpabilisant et moralisateur s’est largement diffusé dans les médias et les partis politiques, allant d’une partie de la gauche jusqu’au RN, et a même fini par atteindre les couches populaires, notamment les travailleurs précaires, dont une partie est désormais persuadée que leurs soucis sont causés par ceux qui dépendent des minima sociaux.

Illustration 4

On a tous entendu autour de nous cette fameuse légende urbaine de familles vivant des aides sociales qui achèteraient des écrans plats ou partiraient en vacances grâce à la solidarité nationale. « Des profiteurs du système, des cas sociaux, des parasites », voilà ce qu’on entend autour de nous chaque jour en famille, au travail ou dans les transports en commun. Pourtant peu de monde se pose la question de ceux que ressentent eux même les bénéficiaires des minima sociaux, de l’humiliation subie à devoir attendre chaque début de mois une aide de la CAF, de ce sentiment d’être inutile pour la société, de devoir compter chaque centime pour survivre. D’ailleurs, il est faux de dire que les bénéficiaires du RSA ne travaillent pas ou profitent de la solidarité nationale puisque 40 % d’entre eux sont inscrits à Pôle Emploi (DREES, Minima sociaux et prestations sociales, Ménages aux revenus modestes et redistribution, Édition 2021). Une partie d'entre eux travaillent une partie de l'année et cumulent RSA différentiel et/ou prime d'activité avec des emplois à temps partiel de courte durée. Le RSA pas plus que le RMI n'a jamais désinciter à la recherche d'un emploi. Au contraire, la plupart des études sérieuses et notamment celles d'Esther Duflo ont démontré que de donner de l'argent aux plus pauvres leur permettait de se maintenir et de ne pas sombrer dans la marginalité ou la délinquance. 

Rappelons que le montant du RSA pour une personne seule est de 607 euros par mois (Le montant du RSA a été revalorisé le 1er avril 2023, Mes-allocs.fr) et qu’il faut avoir 25 ans et, pour les étrangers, disposer d’un droit au séjour de manière continue depuis cinq ans, ce qui exclut de fait une partie des personnes sans ressources. Le RSA ne permet pas de vivre, même les familles qui vivent avec le cumul RSA-allocations familiales n’en profitent pas, cette allocation ne permet au mieux que de survivre. Avec l’inflation, de nombreux bénéficiaires ne peuvent même plus accéder à un logement autonome, ils n'ont même pas les ressources pour accéder à un logement social. Ils passent par des résidences sociales ou même par des centres d'hébergement. Certains doivent solliciter l’aide alimentaire car le RSA ne permet pas de finir le mois. Sans Le Secours Catholique ou Les Restos du Cœur, des personnes pourraient mourir de faim. On estime même que grâce aux associations caritatives l’Etat économiserait 2 milliards d’euros par an (François-Xavier Ménage, Ca craque, Broché, 2023).

Sait-on combien y a t-il de personnes au RSA ou au chômage qui finissent par se suicider ou tenter de suicider par désespoir de ne plus entrevoir de solutions à leur situation ? On ne s’adresse pas non plus aux travailleurs sociaux ou aux associations d’aide aux plus démunis qui accompagnent les personnes en situation de précarité. Pire, les budgets baissent d’année en année à tel point qu’il devient de plus en plus difficile pour les travailleurs sociaux et les associations d’effectuer leurs missions. On constate que faute de moyens financiers et humains, certains bénéficiaires ne sont pas assez ou carrément pas accompagnés.

Au lieu de remettre en question les échecs de leurs politiques sociales, les gouvernements successifs n’auront de cesse de rejeter la faute sur leurs bénéficiaires et de durcir les conditions d’obtention de ce minimum vital, cette réforme n’étant que l'aboutissement de cette logique de responsabilisation des plus pauvres. 

Une réforme inspirée par le workfare anglo-saxon

Des baisses de 5 euros des APL au début de son premier mandat en passant par les réformes successives de l’assurance chômage visant à diminuer la durée et le montant des indemnités jusqu’à cette réforme du RSA, Emmanuel Macron aura suivi la même logique, mettre la pression sur les pauvres et les chômeurs, accusés d’être des assistés et des profiteurs du système. En 2018, le président souhaitait déjà  réformer les minima sociaux dans un projet de fusion, une allocation sociale unique renommée revenu universel d’activité mais n'avait pas abouti (ou sera peut-être reporté ?). 

On assiste à une anglo-saxonisation de la gestion de la pauvreté. D’un devoir moral d'assistance de l'Etat envers les plus démunis, nous sommes passés à une justification permanente des pauvres pour pouvoir bénéficier de leurs allocations sous peine de sanctions.

En effet, l’inspiration de Macron est à chercher Outre-Atlantique et Outre-Manche, une telle politique ayant déjà été mise en œuvre dans les pays anglo-saxons lors de la révolution néo-conservatrice menée successivement dans les années 80 et 90 par Thatcher puis Blair en Grande-Bretagne, Reagan puis Clinton aux Etats-Unis et à moindre mesure entre 2003 et 2005 en Allemagne sous le mandat de Gerhard Schröder par l’intermédiaire des lois Hartz. Si l’on prend l’exemple des Etats-Unis, les administrations Reagan et Bush avaient déclaré la guerre au Welfare State (Etat Providence) en plaçant au centre de leurs attaques la Welfare Queen. Il s’agissait d’une caricature discriminante de l’afro-américaine pauvre, mère isolée, sans emploi, souffrant de pathologies (obésité, addictions), vivant au crochet de la société par l’intermédiaire de l’aide sociale. Cela amène, en 1996, le président Clinton, pourtant issu du parti démocrate, à transformer l’ancienne allocation introduite par Roosevelt en 1935, l’AFDC (Aid for Families with Dependant Children) en une nouvelle prestation plus restrictive, la TANF (Tempory Assistance for Families). C’est la mise en place du Workfare qui prévoit que les bénéficiaires doivent travailler en échange de leur allocation (Loïc Wacquant, Quand le président Clinton “réforme” la pauvreté, Le Monde Diplomatique, 1996, https://www.monde-diplomatique.fr/1996/09/WACQUANT/5764). Les résultats de ces politiques ne se sont pas fait attendre : les inégalités sociales ont explosé, la pauvreté a augmenté et la précarité salariale s’est accentuée.

Une réforme qui soulève des points d’interrogations

En quoi consiste ces activités professionnelles? En gros, il s'agirait soit d'ateliers consistant à savoir faire un CV, rédiger une lettre de motivation, préparer un entretien, soit de mises en situation comme des stages dans des entreprises ou une formation. Le bénévolat pourrait également être préconisé pour certains bénéficiaires.

On compte actuellement 2 millions de bénéficiaires du RSA (DREES, Minima sociaux et prestations sociales, Ménages aux revenus modestes et redistribution, Édition 2021). Comme l’a démontré la Fondation Jean Jaurès, il faudrait débourser la somme de 10 milliards d’euros par an pour pouvoir parvenir à cet objectif de 15 heures d’activités professionnelles par semaine pour chaque allocataire (https://www.jean-jaures.org/publication/face-a-la-casse-du-rsa-nous-opposons-la-necessaire-mise-en-place-dun-revenu-minimum-dexistence/). A aucun moment, il n'a été fait mention d'embaucher des travailleurs sociaux ou des conseillers d'insertion supplémentaires. Le secteur de l’insertion socio-professionnelle connaissant actuellement des difficultés de recrutement, on voit mal comment pourraient être organisés ces ateliers dans des conditions décentes. Quant aux stages en entreprise, on constate qu’il est déjà difficile d’obtenir des conventions avec des jeunes, alors qu'en sera-t-il des bénéficiaires du RSA ? Pareil pour les associations, certains joueront le jeu et d'autres ne voudront pas en entendre parler. Sans moyens supplémentaires spécifiques alloués, il y a peu de chance pour que cette réforme soit applicable en l’état.

La loi a également instauré une nouvelle échelle de sanctions à l’égard de ceux qui ne se conformeraient pas à leurs obligations. Cet article, nommé “sanction-remobilisation”(https://www.vie-publique.fr/loi/289715-projet-de-loi-plein-emploi-france-travail-rsa-handicapes), stipule que si un allocataire ne signe pas de « contrat d'engagement réciproque » ou ne respecte pas une partie de ses obligations, le conseil départemental (ou France Travail si le département lui délègue cette compétence) pourra décider de suspendre le versement de son RSA. Si l'allocataire se conforme à ses obligations, il pourrait toutefois récupérer rétroactivement les sommes perdues. Mais il ne pourrait récupérer qu'au maximum trois mois de versement du RSA. De même, ce serait le travailleur social chargé de l’accompagnement du bénéficiaire qui appliquera la sanction. Comment créer une relation de confiance avec la personne accompagnée si celle-ci sait qu’à tout moment son référent peut lui couper les vivres ? Cela risque de pénaliser l’accompagnement social des bénéficiaires ainsi que les missions des travailleurs sociaux devenus des agents de contrôle.

Autre point à soulever : le SMIC horaire net est de 9.11 euros tandis que le taux horaire d’un bénéficiaire effectuant 20 heures d’activités professionnelles sera de 6.60 euros (En prenant en compte que le RSA socle est fixé à 607.75 euros par mois auquel il faut soustraire le forfait logement de 72.93 euros en cas d’APL (ce qui est le cas pour 95 % des bénéficiaires), ça nous fait un RSA mensuel de 534.82 euros donc un taux horaire de 6.60 euros.). Le conditionnement du RSA pourrait être également une base pour expérimenter des jobs en dessous du SMIC à la façon des mini jobs allemands, des emplois précaires dépourvus de cotisations sociales.

Il est à noter que les exploitants agricoles ou les travailleurs indépendants pourraient également être concernés par cette réforme. Ainsi, un exploitant agricole qui perçoit le complément RSA devrait ainsi effectuer des heures pour la collectivité en plus de ses heures de travail. De même, en vertu de la familialisation du RSA, un conjoint qui travaille à temps partiel devra également effectuer des heures d’activités professionnelles. Peut-on faire plus absurde et stupide que la situation d’un indépendant ou d’un conjoint à temps partiel qui en plus de son activité devrait réaliser des heures supplémentaires ?

De plus, cette réforme entre en contradiction avec une autre réforme initiée par le gouvernement : le versement à la source des prestations sociales. Si le RSA est désormais versé automatiquement, quelle sera la corrélation avec le conditionnement à des activités professionnalisantes ? Imaginons qu’une personne ayant bénéficié automatiquement du RSA suive ces heures obligatoires et tombe par la suite en dépression et ne respecte plus ses obligations, il est fort probable que le versement du RSA soit suspendu et qu’il se retrouve ainsi sans revenus. Comment sera rétabli le RSA ? Le bénéficiaire devra probablement en faire lui-même la demande, annulant ainsi l’esprit de la simplification administrative. Dans ce cas, la conditionnalité s’oppose à l’automaticité. Si le gouvernement veut vraiment rendre automatique le versement du RSA, il devra probablement revenir sur la conditionnalité ou en tout cas passer de la conditionnalité à l’incitation envers ceux qui sont le plus proches de l’emploi, c'est-à-dire une très infime minorité de bénéficiaires afin de ne pas tomber dans l’exemple cité précédemment.

Enfin, cette réforme passe à côté de l’essentiel : la nécessité d’adapter l’accompagnement aux profils des bénéficiaires, notamment les plus éloignés de l’emploi. Chacun a des parcours très différents, des trajectoires de vie accidentées, certains sont dans des addictions, ont des pathologies psychiatriques, sont sortis de prisons, d'autres sont privés de logement car hébergés en CHRS, chez des tiers voire vivent en squat ou sont à la rue. Les travailleurs sociaux, en charge de l’accompagnement des publics en voie d’exclusion, témoignent des difficultés à aider ces personnes. Dans certains cas, il est vraiment important de prendre du temps, de s’armer de patience avec les bénéficiaires. Imagine-t-on un seul instant une personne souffrant d’alcoolo-dépendance participer à ce type d’atelier ? Ne faudrait-il pas dans ce cas prioriser l’accès aux soins ? Quant aux personnes proches de l’emploi ou déjà en activité, la plupart savent déjà créer un CV ou taper une lettre de motivation. Dans ce cas, ces ateliers seront parfaitement inutiles et passeront à côté de leur objectif alors qu'il paraît nécessaire de renforcer davantage l'accompagnement social des bénéficiaires.

En toile de fond : une précarisation accentuée et une privatisation de l’accompagnement des bénéficiaires

Comme nous l’avons démontré précédemment, l’esprit de cette réforme se rapproche du workfare anglo-saxon, politiques d’activation de la protection sociale qui ont montré leurs limites partout où elles ont été menées. Ainsi, en Allemagne, le chancelier Olaf Scholz a réformé la loi Hartz IV, symbole de la précarisation de tout un pan de la population allemande, en instaurant un revenu citoyen, un dispositif moins punitif avec un renforcement de la formation (https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/09/19/en-allemagne-l-allocation-citoyenne-doit-adoucir-le-regime-d-indemnisation-du-chomage-de-longue-duree_6142218_3234.html).

Si ces politiques d’activation des minima sociaux sont actuellement remises en cause dans les pays où elles ont été adoptées, alors pourquoi Emmanuel Macron s’entête-t-il à adopter une réforme similaire ? Il y a évidemment une explication électoraliste, Macron voulant capter les voix de la droite, il a donc repris à son compte cette proposition très populaire chez les votants hostiles à l'assistanat. 

Enfin, l’autre explication à cette réforme est budgétaire : il s’agit simplement de faire des économies. Le gouvernement espère qu’en relevant fortement le conditionnement des aides sociales, les allocataires devraient rapidement retrouver un emploi, quitte à ce que cet emploi soit précaire et de piètre qualité, et que l’enveloppe budgétaire consacrée aux minima sociaux diminue.

De plus, la forte contrainte exercée par la conditionnalité du RSA à des activités professionnalisantes a de fortes chances de se révéler contre-productive. Le taux de non-recours au RSA, déjà élevé, estimé à 34 % (Enquête de la DREES parue en avril 2023), pourrait encore s’accroître car une partie de ceux en droit de le demander seraient découragés par un accès au droit devenu plus restrictif et plus complexe. En effet, l’épreuve du guichet est connue pour être ressentie comme particulièrement stigmatisante et humiliante pour les allocataires des minima sociaux. Des économistes ont également démontré que les sanctions augmentent également le non-recours au RSA (Sylvain Chareyron, Rémi Le Gall and Yannick L’Horty, Droits et devoirs du RSA, 2022, https://hal.science/hal-03244267/). Alors que la conditionnalité est censée déboucher sur l’insertion professionnelle de ses bénéficiaires, c’est exactement l’inverse qui se produit.  Certains préfèrent sortir des radars et entrer dans la marginalité, accentuant ainsi le processus de précarisation. 

Sera également créée l’entité France Travail rassemblant Pôle Emploi, Cap Emploi et les missions locales, elle centralisera l’inscription et l’orientation des demandeurs d’emploi les plus précaires. Les bénéficiaires du RSA auront l’obligation de s’inscrire à France Travail. Le projet de loi prévoit également la possibilité de faire appel à des prestataires privés pour leur déléguer l’accompagnement des bénéficiaires. Non seulement le gouvernement a modifié le sens donné aux minima sociaux en faisant porter la responsabilité de l'exclusion sur les allocataires mais en plus, l'accompagnement social des bénéficiaires sera privatisé.

Les alternatives à cette réforme

Plusieurs solutions alternatives existent, notamment l'augmentation du RSA, son automatisation et versement à la source et son extension aux plus jeunes ; le développement de l'insertion qu'elle soit sociale ou professionnelle sans exercer de pression sur les bénéficiaires du RSA en faisant confiance et en soutenant financièrement les travailleurs sociaux et les acteurs associatifs ; l'extension de Territoires zéro chômeurs pour en faire une garantie d'emploi pour tous les chômeurs de longue durée et bénéficiaires du RSA. 

Illustration 5
La Ville de Pont-Château est engagée dans l'expérimentation Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLD).

Cette expérimentation, portée par ATD Quart Monde depuis 2016, compte en France 42 territoires qui y ont adhéré (https://www.tzcld.fr/). Concrètement, il s’agit de déterminer les besoins en termes d’emploi sur un territoire et d’y répondre en proposant aux personnes privées durablement d'emploi, inscrites depuis plus d'un an à Pôle Emploi, un travail en CDI, payé au SMIC, dans des entreprises spécialement créées pour les employer, des "entreprises à but d'emploi" (EBE). Elles exercent leurs activités dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Ces entreprises répondent à des besoins non couverts sur le territoire et utiles à la population.

Si on décidait de généraliser l’expérimentation Territoires Zéro Chômeurs aux demandeurs d’emploi inscrits depuis plus d’un an, en comptabilisant 1.2 millions de chômeurs durablement privés d’emploi, on obtient un coût total de 20 milliards d’euros dont le financement serait quasiment assuré grâce à la réallocation des dépenses publiques actuellement versées pour combattre la précarité (minima sociaux, aides diverses…) ( En consultant les données statistiques sur le nombre de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi au 2e trimestre 2023, on observe qu’il y a 1.2 millions de demandeurs d’emploi en catégorie A (demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, sans emploi) en France métropolitaine et dans les DOM. Si on multiplie 1.2 million par 1383 (le SMIC net) et par 12, on obtient le résultat de 20 milliards d’euros).

Un bilan de la DARES a été effectué en 2021 (https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/experimentation-territoires-zero-chomeur-de-longue-duree-rapport-du-comite-scientifique). Les retombées sont positives sur les bénéficiaires. Ils n’auraient été que 55.9% à être en emploi et moins d’un tiers auraient été en CDI. Cela a contribué à améliorer leurs conditions de vie et leur bien-être général (santé, insertion sociale, confiance en soi, sérénité vis-à-vis de l’avenir…). Les bénéficiaires déclarent avoir des dépenses de logement plus supportables et un accès facilité au permis de conduire et à un moyen de transport personnel. Ils sont également moins nombreux à renoncer aux soins pour des raisons financières.

De plus, les EBE ont été visibles pendant la crise sanitaire car elles étaient fortement mobilisées pour répondre aux besoins de la population locale durant la crise, notamment par la fabrication de masques.

On peut déjà l’annoncer. Ce RSA conditionné à des heures d’activités professionnelles sera un échec. Il ne mènera pas les plus pauvres vers l’emploi, ou alors des emplois très précaires. En fait, soit ces activités de 15h à 20h seront parfaitement occupationnelles et inutiles, et dans ce cas, n’apporteront rien en termes de débouchés professionnels pour les bénéficiaires du RSA ; soit ces activités seront des emplois déguisés et dans ce cas il faudrait simplement les reconvertir en emplois rémunérés décemment, et ainsi instaurer une garantie d’emploi sur le modèle de l’expérimentation “Territoires zéro chômeurs” dont les retours été globalement positifs.

Cette réforme va s’avérer contre-productive en augmentant considérablement le non-recours au RSA, elle deviendra une trappe à pauvreté. En effet, une partie des ayant droits découragés n'en feraient plus la demande, ce qui accentuerait la précarisation et la marginalisation des plus pauvres. On imagine déjà les effets pervers concernant le sans-abrisme ou le surendettement des ménages. Dans ces conditions, le nombre de SDF, déjà de 330 000, pourrait être amené à s'accroître. 

De plus, la privatisation de l’accompagnement social pose sérieusement question. Au Royaume-Uni, le service public de l’emploi s’est déshumanisé au profit d’un partenariat public privé et de travailleurs sociaux qui agissent comme des robots en incitant les bénéficiaires à entamer des démarches humiliantes pour conserver leurs allocations.

Au lieu de stigmatiser ses bénéficiaires en conditionnant le RSA à des activités professionnelles parce qu'on ne connaît rien ni au vécu ni à la situation des allocataires et encore au moins aux missions des travailleurs sociaux, la macronie ferait mieux d’abroger cette indigne réforme et de trouver de véritables réponses, non pas en luttant contre les pauvres mais contre la pauvreté.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.