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Billet de blog 29 juillet 2023

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Seconde partie : L'hégémonie culturelle du néolibéralisme

Seconde partie consacrée à l'hégémonie culturelle du néolibéralisme "There is no alternative".

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A partir du tournant néoconservateur de la fin des années 70 et les applications concrètes de Thatcher et Reagan donnant forme au capitalisme financier dans les années 80, le néolibéralisme est devenu prédominant et irremplaçable. Le grand tour de force du néolibéralisme a été d’imposer dans le champ politico-médiatique ses idées comme des lois immuables. L’économie néolibérale est devenue ainsi pour ses promoteurs bien plus qu’une idéologie, c’est désormais une science absolue. On se rappelle ainsi du livre « Le négationnisme économique » de Pierre Cahuc et André Zylberberg, sorti en 2016, dont le propos était d’affirmer que la science économique produit des savoirs de même niveau scientifique que la médecine, pour traiter les maux sociaux et qu’en dehors des thérapies libérales, les autres courants de pensée étaient négationnistes car ils refusaient de voir la vérité économique.

Désormais, même les keynésiens les plus modérés sont vus par la doxa néolibérale comme des hérétiques quand ils ne sont pas considérés comme des staliniens. Augmenter la dépense publique ? Un péché. Accentuer le déficit public ? Une hérésie. Plus d’impôts pour les riches ? Une contrevérité. Restreindre les mouvements de capitaux ? Un sacrilège. Comme la religion catholique en son temps, la prêche néolibérale et son discours culpabilisant fonctionne à merveille auprès du grand public. A tel point que s’est produit un inversement des valeurs morales comme le montre la théorie de l’assistanat, ce ne sont plus les riches à qui on demande de faire des efforts mais aux plus pauvres qui profitent du système.

L’autre avantage du néolibéralisme, c’est d’être innommable, non identifié et non incarné. Aucun des défenseurs de cette idéologie ne s’en réclament, certains affirmant être simplement des libéraux, d’autres rejetant toute forme d’étiquette au nom du pragmatisme et de la science économique. Certains dirigeants comme Emmanuel Macron vont même jusqu’à critiquer Margaret Thatcher alors qu’ils appliquent exactement la même politique de l’offre que la Dame de Fer : baisse des impôts pour les plus riches, flexibilité du marché du travail, privatisations, compression des dépenses publiques…

Tout cela crée de la confusion idéologique auprès du grand public, entretenue sciemment par les médias. Si on arrive pas à nommer et à identifier son adversaire idéologique, à savoir le néolibéralisme, et les institutions qui le représentent, en l’occurrence les marchés financiers, alors aucune opposition n’est valable. Et cela ouvre la porte à toutes les théories loufoques et complotistes comme les Illuminati. Comme il n’y a pas d’idéologie dominante, on en crée d’autres à combattre, un jour le « wokisme » pour les uns, un jour le mondialisme pour les autres.

Le néolibéralisme n’a pas limité son influence à la sphère économique, il l’a étendu à l’ensemble de la culture collective. Comment sortir du néolibéralisme si on a été soi-même contaminé par la culture néolibérale ? En effet, les arts, le cinéma, la musique, le sport ont été soumis à la doxa néolibérale.

Les valeurs comme la compétitivité, la rentabilité, la consommation de masse, la libre entreprise, la réussite individuelle… ont envahi l’espace médiatico-culturel et ont investi le langage. En effet, la novlangue néolibérale, selon le concept décrit par Orwell, issue du monde managérial de l’entreprise, s’est diffusée dans toutes les sphères politiques, économiques et sociales. Elle a imprégné les esprits et formaté la pensée des individus. Les mots management, projet, développement, gestion, coûts, moyens, objectifs sont devenus récurrents dans la santé, l’éducation ou le social. Le discours visant à être « soi même » a été mis en avant par la publicité et les médias, traduisant ainsi le passage à la sphère individualiste de la vie quotidienne. « Chacun pour soi et rien pour tous » est le devenu le crédo de la société néolibérale managériale.

Illustration 1
L'influenceur, nouvelle égérie du néolibéralisme

La preuve en est avec l'émergence des stars de la télé-réalité et autres Youtubeurs dont l’hyper narcissisme dévoyé frôle avec la névrose obsessionnelle. Au-delà de la caricature, les influenceurs représentent les excès et les dérives du néolibéralisme. D’un individualisme positif fondé sur la promotion des droits individuels, l’initiative individuelle, l’autonomie de la personne et l’affirmation de soi, nous sommes passés à un individualisme négatif, décrit par Robert Castel comme la mise en avant de l’égocentrisme, la consommation à l’excès et la rupture des liens sociaux.

Et enfin, le néolibéralisme a infusé dans l’esprit des gens qu’il n’y avait aucune autres alternatives politiques, « There is no alternative » affirmait Margaret Thatcher. Le déclassement de la classe ouvrière, le chômage de masse et la mondialisation ont anesthésié les syndicats et les mouvements de gauche incapables d’incarner une alternance au néolibéralisme. Pire, les sociaux-démocrates se sont convertis à la nouvelle religion des marchés et ont appliqué les mêmes recettes que les partis conservateurs. Ainsi, il n’y a plus aucune différence sur le plan économique entre Thatcher et Blair, Reagan et Clinton, Merkel et Schröder, Sarkozy et Hollande. Même Syriza, Parti de gauche radicale, une fois arrivés au pouvoir en Grèce, se sont normalisés et ont appliqué l’austérité budgétaire (certes sous la pression de la troïka). Une fausse opposition a été montée de toutes pièces entre néolibéraux progressistes (Macron, Trudeau...) et néolibéraux populistes (Trump, Meloni…), les mêmes politiques étant menées : baisses d’impôts pour les détenteurs de capitaux et les entreprises, flexibilité du marché du travail, affaissement de la protection sociale, compression des dépenses publiques… La différence sur le plan économique et social tenant à l’épaisseur d’un papier cigarette, les seules divergences se font désormais sur les sujets de société. Ainsi la gauche est passée de la défense de la classe ouvrière à celle qui représente les intérêts des minorités et des immigrés. Une bonne partie de son ancien électorat, se sentant délaissé, s’est tourné vers l’abstention ou les mouvements de droite populiste.

Illustration 2
Thatcher/Blair, même idéologie, même combat !

On peut conclure que le néolibéralisme a gagné avant tout la bataille culturelle et idéologique en s’imposant comme la seule alternative crédible qui a envahi l’espace médiatique par son langage et ses dogmes économiques, décrits comme des lois universelles et immuables. Les néolibéraux ont appliqué à la lettre la théorie de l’hégémonie culturelle du marxiste Antonio Gramsci, partant du postulat que la conquête du pouvoir présuppose celle de l'opinion publique, tout en ne se revendiquant pas de cette idéologie. Le néolibéralisme a eu pour effet un effondrement des valeurs collectives et une défiance de la population envers la démocratie, a rompu le contrat social au profit d’une société atomisée et composée d’individus consuméristes aux identités multiples. Les solidarités sont remises en question et le repli sur soi est enviable et souhaitable. Dans une société où l’égocentrisme et les revendications communautaires sont devenus la norme, il n’y a plus de place pour un dessein commun, d’autant plus que chaque individu est désormais perçu comme un concurrent potentiel pour soi-même.

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