"Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?" Tu vois, ma fille, Voltaire écrivait cette phrase au XVIIIe siècle. L'histoire ne semble être qu'un éternel recommencement. Par ailleurs, le 1 publie un poème, extrait de "la Henriade", sur les massacres de la Saint-Barthélemy. Voltaire semble l'avoir écrit cette semaine.
Tu vas grandir, et l'on va tout faire pour t'inculquer des valeurs qui nous sont chères : l'amitié, le partage, la tolérance, l'intransigeance face à l'inculture. La culture, le savoir. Tout compte fait, avec l'éducation, il n'y a que ça. Quoi d'autres sinon ?
Tu vas baigner dans la "culture", tu n'auras pas le choix. Les livres, partout, tout le temps, la presse, les expos, les vieilles pierres (j'en suis désolé d'avance, tu vas saturer !), l'histoire (pour ça aussi, je suis navré !), la musique... Tout cela sera à ta disposition. Est-ce le dernier rempart contre l'obscurantisme ? Je n'en vois pas d'autres.
On va t'expliquer qu'il faut être gentille, le plus possible. Ne pas te laisser marcher sur les pieds, bien sûr. Avec la famille que tu as, ce serait étonnant. Mais désamorcer, avec l'humour en général, et toujours, être conciliante et gentille. Mais ça paraît bien faible face aux monstruosités de ces fanatiques, qui méprisent tout ce qui a de la valeur pour nous. Et d'ailleurs, ils détestent les femmes pour commencer. Tu ne vas pas t'amuser tous les jours avec tout ça.
La culture et le savoir, c'est à ça que ça sert. Toutes ces choses, interdites par les fondamentalistes, permettront de te forger un caractère, une opinion sur les choses, du recul (nécessaire, contre la colère stérile). Nous t'apprendrons, avec nos moyens, l'esprit critique, l'humour, et donc l'appréciation de la caricature. Ces armes sont les seules que nous pourrons te donner dans ce monde. Dans le pays où tu es née, elle devrait te suffire pour te faire une place, la plus belle possible.
Mais depuis le 7 janvier, elles paraissent dérisoire. Elles ne le sont pas. C'est l'ignorance qui mènent les gens vers l'innommable. Tous ces imbéciles qui tuent à tout va sont des ignorants, contrairement à ce qu'ils pensent. Ce ne sont pas de bons croyants non plus d'ailleurs. Mais nous ne saurions t’expliquer cela en détail, athées que nous sommes. Toutes tes questions sur ces sujets, dans la mesure de notre possible, trouveront des réponses. Et tu te forgeras tes propres opinions, nous l'espérons, mais avec toute l'information nécessaire, la plus complète, la plus objective, si cela est possible. Ces fanatiques ne connaissent rien. Pour tout dire, ils méprisent tout ce que tu connais. Ils honnissent notre monde. Je dis "notre" monde, car ils vivent sur une planète qui n'est pas la nôtre. Ils ne maîtrisent même pas ce qu'ils défendent. Combien connaissent vraiment l'histoire de leur(s) foi(s). Tu vois, l'historien revient à la charge ! Les intégristes, quels qu'ils soient, ne connaissent pas vraiment la religion qu'ils disent pratiquer. Si seulement ils sortaient un peu de leurs lectures sacrées, fragmentaires en général, et s'informait réellement. L'islam d'aujourd'hui ne sort pas de nulle part. 1500 ans d'histoire ont forgé une culture inconnue de la plupart des pratiquants d'aujourd'hui. L'on dirait la même chose des catholiques et des autres.
Tu seras peut-être religieuse, spirituelle, mystique, ma fille, qui sait ?, mais surtout, ne sois pas ignorante. Ce sera la seule exigence de ton père à ce niveau. Sois catho, musulamne, juive, bouddhiste, si ça te chante, ou athée, mais toujours, sache pourquoi.
Je pense relire le"traité sur la tolérance" de Voltaire, histoire de finir cette chronique comme elle a commencé. Rien de mieux que les textes pour s'ouvrir l'esprit. En 1763, déjà, Voltaire défendait la tolérance entre les religions (catholique et protestante pour ce qu'il concerne) et luttait contre les superstitions et le fanatisme. Et oui, déjà.
Tu vois, l''histoire n'est vraiment qu'un éternel recommencement. Les hommes ont si peu de mémoire. Et de savoir... Les pauvres.