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Une affaire de famille est un film de joie spinozienne, libérant toute la puissance d’agir des hommes miséreux par définition. Car au travers de la description de ce noyau familial, nous est montrée la nature intime de l’homme faite de misères, de fragilités et d’un effort permanent pour se maintenir debout et vivre tout simplement. Il ne nous est épargné aucune bassesse, l’objet n’étant pas d’idéaliser le pauvre que l’on ne nomme plus prolétaire, mais au contraire de révéler la nudité et les contradictions propres à l’essence de l’homme qui n’est que désir, tel Adam se mouvant ici dans les quartiers populaires d’une ville japonaise, croquant chaque jour dans la pomme de vie, dans le fruit du pécher, juste pour vivre.
Et cette famille n’a aucune légitimité pour exister, n’ayant aucun lien sanguin transcendantal. Elle s’autodétermine cependant aux travers de ses affects, imaginant ses propres raisons d’exister. C’est le noyau primitif de la société qui nous est ainsi montré. L’entraide des membres de la famille augmente la puissance d’agir de chacun, à l’origine d’une joie individuelle et commune, créant la communauté d’amis, fondement de la polis. Tout comme chez Spinoza, le rôle premier de la société est d’assurer la sécurité de chacun de ses membres, leur permettant de s’épanouir et d’exprimer leur puissance d’agir. La société des affects détermine sa propre morale, son éthique. A partir de ce socle familial, véritable plan d’immanence, l’imaginaire invente d’autres affects qui n’ont pour but que d’augmenter la puissance d’agir de chaque membre de la famille. Ainsi surgit l’amour ou bien le sentiment de paternité. En vrai naturaliste, le réalisateur ne nous épargne pas les affects tristes, le mensonge, le vol, le meurtre, etc.. qui sont partie intégrante de notre société des affects. Ces passions tristes fragilisent et remettent en cause la légitimité de cette construction imaginaire. La société des affects n’est pas une société idéale, c’est juste la société telle qu’elle est. Les affects de joie et de tristesse nous irradient en permanence, ce sont le combustible de la production du réel. Et, par réel et perfection, j’entends la même chose. (Spinoza)
Il n’y a nulle dialectique chez Spinoza, la production du réel n’est pas issu d’une confrontation entre les affects actifs et les passions tristes, ces dernières n’ayant pas une intensité négative mais une intensité moindre.
La fin de notre affaire de famille nous révèle que la société des affects n’ayant pas une légitimité transcendantale gravée dans les tablettes de la loi, est une construction bien plus fragile, comme tout corpus démocratique. La révélation de la construction imaginaire (et donc fictive) de notre affaire de famille va permettre de confronter l’éthique de notre famille à la morale transcendante de la société japonaise. La légitimité de notre affaire va être remise en cause par les représentants moraux que sont la justice, la police et… les médias. Nous comprenons rapidement au travers du prétendu abandon du corps de la grand -mère, que la moralité nipponne n’a pas plus de légitimité que l’éthique de notre noyau familial. Mais il n’y a pas forcément matière à se révolter. Il est en effet naturel que l’éthique du plus grand nombre, c’est à dire de l’ensemble de la société japonaise, s’impose, s’affirme par rapport aux lois que notre noyau familial avait définies en raison de la différence de potentia. Aussi notre héroïne peut quitter le parloir et retourner dans sa cellule de prison, un sourire de joie aux lèvres, car elle a bien conscience que malgré sa stérilité, elle a participé à la production du monde.
Et telle est l’universalité de ce film.