Les Misérables ou la crainte de la multitude.
Puissance, imaginaire et multitude.
La cérémonie des Oscars a raté l’occasion de récompenser un grand film spinozien. Les Misérables de ladj Ly n’est pas un film Hugolien malgré son titre, malgré Monfermeil qui fut le lieu du drame de Cosette et Jean Valjean, malgré sa conclusion reprenant une citation de Victor Hugo et contrairement au commentaire de Lucie Delaporte dans Médiapart. Il ne reprend pas le manichéisme bon enfant du romantisme hugolien. Mais il nous parle de la puissance de la multitude, de l’imaginaire instituant le pouvoir et de la crainte de la multitude.
Le film s’ouvre sur une scène montrant la multitude joyeuse fêtant la victoire de l’équipe de France de football lors de la dernière coupe du monde. Scène qui paraît en décalage complet avec le reste de film, si ce n’est pour nous introduire, pour nous présenter la multitude, une foule alors jeune et joyeuse. La suite se présente comme un reportage, une plongée de la brigade anti criminalité (BAC) dans la ville de Montfermeil, grâce à l’arrivée d’un nouveau flic dans la BAC. Ladj Ly nous montre comment s’organise le pouvoir entre la police, le maire qui doit son titre à son maillot de football et les différentes communautés ethniques. Ces différentes puissances, la police, le maire, les autres communautés ont une puissance d’agir propre, mais elles se neutralisent pour assurer la paix sociale et faire société. Le réalisateur décrit alors l’origine de cette puissance d’agir, qui est force brute des uns et des autres, force musculaire du groupe de gitans et du maire, force armée de la police. L’épisode de l’arrêt de bus révèle une autre origine de la force: l’imaginaire du représentant de la police et de l’institution qu’il représente suffit à réduire toute velléité de révolte de trois adolescentes. Ce nouveau constituant de la force que représente l’imaginaire s’impose d’autant plus que la cause de l’altercation est sans fondement et et sa conséquence inique affirmant la force pure de l’image de l’institution policière. Cette séquence n’apporte rien à l’histoire en cours, elle traduit la crainte qu’exerce le pouvoir sur le peuple, premier sens de la crainte de la multitude. Ces différents constituants de la puissance d’agir à l’origine de la force révèle un équilibre précaire et annonce le drame à venir. Il suit une bavure policière lors de l’interpellation d’un jeune de la cité sous estimée par les flics de la BAC mais considérée comme une réelle injustice par l’ensemble des adolescents. La multitude des enfants de la cité se constituent alors en puissance d’agir et en force renversant alors les différents imaginaires qui assuraient la permanence de la société de Montfermeil. La multitude prend conscience de sa puissance d’agir, invente un nouvel imaginaire et actualise son essence. Se confrontent alors la force légitimée par la puissance d’agir de la multitude, à la force relevant de l’imaginaire que représente l’institution policière. La scène de la cage d’escalier traduit le deuxième sens de la crainte de la multitude, crainte que représente la multitude pour le pouvoir en place.
Cette double crainte de la multitude est prégnante dans l’oeuvre de Spinoza comme l’a judicieusement rappelé E Balibar.
Ce film bien qu’ancré dans la réalité des banlieues françaises est un conte. Car il s’agit d’enfants, car la scène de la cage d’escalier, très bien construite, bénéficie cependant de circonstances qu’évoque une histoire inventée. Et là réside son message, son essence, que l’état démocratique n ‘est que l’émanation de la multitude et que sa force n’a pour seule légitimité et origine, la puissance d’agir de la multitude. Ce décalage observé entre la force de l’état et la puissance d’agir de la multitude traduit l’absence de démocratie qui règne à Montfermeil et probablement sur l’ensemble du territoire français.
Ce conte n’est définitivement pas hugolien, mais aux travers des références à Victor Hugo, il actualise au XXIe le sentiment de révolte et d’injustice que pouvait ressentir l’auteur des Misérables face à la situation du bas peuple en France. Ladj Ly aurait pu exhumer une autre citation du verbe hugolien plus à propos à la fin de son film: « Quand la foule regarde les riches avec ces yeux-là, ce ne sont pas des pensées qu’il y a dans tous les cerveaux, ce sont des événements. » On imagine alors Victor Hugo citer du Spinoza. Il est là, probablement, le sens des révoltes à venir.