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Billet de blog 10 mai 2020

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En cas d'urgence

Petit récit poétique pour lutter contre la morosité

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a tellement de publications sur "l'après, tellement de tribunes, d'exhortation à un nouveau départ que je ne sais plus où donner de la tête.

Faut-il prendre aux riches pour nourrir les pauvres comme le propose Vincent Lindon ?

Faut-il permettre à l'économie de redémarrer dans l'urgence en espérant que ruisselle l'argent des portefeuilles des riches vers les porte-monnaie des pauvres ?

Je n'en sais rien, et je perds un peu espoir avec tout ce que j'entends autour de moi. Alors je vous propose un petit récit poétique pour lutter contre la morosité ambiante et peut-être surtout contre la mienne...

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En cas d'urgence

Ce matin, quand j’ai ouvert les volets, le soleil était vert.
Je suis allé dehors. Ce qui m’a frappé en premier, c’était le silence. Pas un seul bruit de moteur. Juste un léger vent et de temps à autre, le gazouillis des oiseaux. J’ai fermé les yeux. Une douce odeur de fleurs de tilleul m’a chatouillé les narines.
J’ai ouvert les yeux. Les couleurs étaient toujours aussi surprenantes : les trottoirs oranges, les immeubles rayés de blanc, le tronc des arbres bleus.
Tout à coup, sur un arbre, j’ai aperçu un bouton rouge qui brillait. Au dessus du bouton, une inscription : “Uniquement en cas d’urgence”.
Je me suis approché. Je l’ai effleuré, aïe ! Il était brûlant. Le bleu du tronc quant à lui était glacé.
C’est quoi un cas d’urgence ? Je suis allé voir un peu plus loin. Toutes les rues étaient désertes. Seulement des oiseaux, des lapins, des écureuils. Personne non plus dans le parc. Juste des animaux : des hérissons, un renard, des canards, des oies, un sanglier avec ses marcassins. Mais où était donc passé tout le monde ?
Je suis revenu à l’arbre. Le bouton rouge était toujours aussi chaud.
Je suis rentré chez moi pour prendre mon petit-déjeuner et réfléchir. Rien à la radio, que des grésillements. La télévision ne fonctionnait pas. Pas de réseau non plus avec le téléphone. J’ai frappé aux portes jaunes à pois verts des voisins de l’immeuble. Même chez ceux que je ne connaissais pas. Personne.
Je suis retourné au bouton. C’est vrai que les nouvelles couleurs de la ville étaient plus joyeuses que le gris d’avant, et les petits animaux plus paisibles que les gens et les voitures qui courraient dans tous les sens, mais c’était quand même un peu triste d’être tout seul.
Uniquement en cas d’urgence. C’était peut-être ça, un cas d’urgence ? J’ai tiré sur ma manche pour protéger ma main et j’ai appuyé.
Le bouton a commencé par clignoter. Au début, il ne s’est pas passé grand chose. Le vent s’est arrêté. Les oiseaux ont arrêté de chanter. Un écureuil est descendu d’un arbre. Il s’est assis en face de moi, il m’a regardé quelques secondes puis il est parti vers le parc. Quelques oiseaux sont passés près de moi. Certains se posaient au sol ou sur des branches autour de moi. Ils me fixaient quelques instants avant de s’envoler vers le parc eux aussi. Un petit lapin blanc est sorti d’une bouche d’égout. Il s’est assis à côté d’un renard que je n’avais pas vu arriver. Ils ont levé les yeux au ciel et sont repartis côte à côte en direction du parc.
Les troncs des arbres étaient redevenus gris vert. Le soleil brillait jaune à nouveau, mais il s’est vite caché derrière des nuages d’un blanc laiteux. Peu à peu, les rayures des immeubles se sont effacées, l’orange du trottoir s’est estompé. Tout a retrouvé sa teinte grise d’avant. Le bouton s’est arrêté de clignoter. Lentement, il s’est recouvert d’écorce, jusqu’à devenir une petite bosse sur le tronc de l’arbre.
Au loin, j’ai entendu le bruit d’un klaxon, puis celui d’un scooter qui s’approchait. Il est passé à toute allure dans la rue encore vide. Des gens se sont mis à arpenter les trottoirs, à sortir des immeubles. Trois voitures et un bus sont passés.
Sur le tronc de l’arbre, l’inscription “en cas d’urgence” a commencé à disparaître. Alors j’ai pris mes clés dans ma poche et j’ai tracé un cercle sur l’écorce autour de l’emplacement du bouton et une croix au dessus. On sait jamais.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.