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Billet de blog 25 avril 2020

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Pladoyer pour un meilleur lendemain

La pandémie de Covid-19 a paralysé l’économie mondiale. Que va-t-il se passer ensuite ? Allons-nous relancer une machine économique tirée par le consumérisme ou saurons-nous tirer des enseignements de cette crise et bâtir un autre monde ?

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Pladoyer pour un meilleur lendemain

A l’ombre de la pandémie de Covid-19 qui paralyse et contracte l’économie mondiale, l’être humain est rappelé à sa fragilité. Depuis le néolithique, l’empreinte écologique de l’humanité sur la planète n’a cessé de croître. Ce n’est vraisemblablement que depuis la fin des années 1960 que la communauté scientifique a commencé à prendre conscience de l’évolution du climat du fait de l’activité humaine.
Commencée avec la révolution industrielle la pollution à grande échelle de l’air, des rivières, des nappes phréatiques et des mers ainsi que celle liée à la consommation des ressources : énergies fossiles et minerais n’ont cessé de prendre de l’ampleur.
De plus l’urbanisation et l’incessante intensification de l’agriculture depuis sa mécanisation ont fortement contribué à la déforestation, à l’érosion et à la pollution des sols et au réchauffement atmosphérique.
Par ailleurs, la recherche scientifique a établi des liens entre l’élevage et la déforestation avec l’apparition de nouvelles maladies. (Le monde diplomatique - mars 2020)

L’économie de marché repose sur la liberté d’entreprendre et sur celles des producteurs et des consommateurs de se rencontrer. De plus l’économie mondiale est soutenue par la demande et la croissance permanente de la consommation, et notamment la consommation des ménages américains. Pourtant, sans régulation Karl Polianyi voit, dès 1944, dans l’économie de marché une machine à broyer les sociétés car les commodités échangées sur les marchés du travail ou de l’immobilier ne sont pas des marchandises au sens où elles n’ont pas été produites pour être échangées (La grande transformation - Polianyi).

D’après les prévisions de l’ONU, Thomas Piketty conclut que la croissance démographique se stabilise et donc mécaniquement la croissance économique va se ralentir. Or cette situation donne une importance démesurée aux patrimoines constitués dans le passé, et conduit mécaniquement à une concentration extrême de la richesse. (Le Capital du XXIè siècle - Thomas Piketty - 2013)

D’après l'Organisation Internationale du Travail (OIT, organisme rattaché à l’ONU) les inégalités de salaires mondiales sont criantes : 10 % des travailleurs concentrent ainsi près de la moitié (48,9 %) du total des rémunérations distribuées. De l'autre côté du spectre, la moitié des travailleurs ne touchent que 6,4 % du total des revenus mondiaux. Les 650 millions les plus pauvres d'entre eux en empochent même moins de 1 %, « un chiffre quasiment inchangé en treize ans », souligne l'OIT. (Les échos - 05/07/2019)

D’après l’observatoire des inégalités, en 2013, moins de 10 % de la population mondiale détenait 83 % du patrimoine mondial, alors que les 70% les plus modestes possède que 3% du patrimoine mondial. L’Amérique du Nord et l’Europe possèdent 65% de cette richesse. (www.inegalites.fr 07/06/2013)

Ces inégalités atteignent aujourd’hui des écarts vertigineux. Le patrimoine médian d’un habitant du Malawi se situe autour de 100 dollars, alors que celui de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon est de l’ordre de 113 milliards de dollars, 1 milliard de fois supérieur ; si on le compare au patrimoine médian d’un Français (125 000 dollars), c’est tout de même 900 000 fois supérieur.

On peut constater tous ces faits avec plus ou moins de sidération selon sa sensibilité, mais il est impossible de justifier de tels écart.

Au-delà de l’impact sur l’écosystème, la migration des productions industrielles pour profiter de main d’oeuvre à bas coût conduit les entreprises multinationales à s’installer dans des pays où la réglementation est très réduite en matière de protection de l’environnement et des travailleurs. Outre l’aggravation de l’impact écologique dans ces pays qui serait mal toléré dans les pays plus riches, la misère sociale résultant de l’exploitation d’une main d’oeuvre mal protégée permet l’oppression des populations et conduit à des situations d’instabilité politique, de guerre et d’exode.

Mais quand on a dit tout cela, que faire ? La pandémie qui nous est tombée dessus amène de nombreuses initiatives de réflexion sur “l’après”. En dépit de la crainte suscitée par la maladie et de l’impuissance ressentie, cette situation est une occasion inédite en temps de paix pour la volonté des peuples de s’exprimer plus fortement que d’ordinaire.

En France, les solutions qui émergent se préoccupent principalement de politique intérieure, et c’est bien normal. Rebâtir l’hôpital public, relancer la recherche fondamentale, établir un revenu universel, relocaliser la production, taxation plus forte des multinationales, relancer l’ISF, réinvestir dans l’école publique…

La mise en place d’un revenu universel parait la plus fragile. C’est peut-être une solution à court terme pour éviter l’effondrement de notre système économique en soutenant la demande. Mais si cette politique devait être maintenue dans le temps il est à craindre qu’elle invite les entreprises à profiter de la situation pour continuer leurs politiques environnementales irresponsables en matière de consommation des ressources. Par ailleurs une expérience similaire avait été tentée en Angleterre pendant 40 ans au début du XIXè siècle dans des circonstances certes différentes, mais elle avait conduit à une paupérisation de la société. En effet, les employeurs avaient alors profité de la situation pour mal rémunérer le travail. Il conviendrait d’étudier cette expérience avec soin pour ne pas s’y précipiter sans en mesurer les risques.

Enfin toutes ces solutions se concentrent sur la politique économique locale et semblent oublier que nous vivons dans une économie de marché globalisée. Cette crise touche tous les pays plus ou moins fortement. Les Etats-Unis qui sont très fortement affectés pourraient y perdre leur place de première puissance économique. Certains disent que la Chine leur succédera, mais tant que le phénomène épidémique ne sera pas enrayé ou tant qu’il n’y aura ni traitement ni vaccin, il n’y aura aucune certitude sur le nouvel ordre mondial. Rien qui ne dise s’il sera pire ou meilleur.

Les instances internationales sont très faibles. Les politiques environnementales qui émanent de la COP (Conference of Parties) sont timides et pas assez contraignantes. Le nombre de convention émanant de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) non signée est impressionnant. L’OMC a très peu de pouvoir pour imposer des règles du jeu dans le commerce international. L’OMS, en pleine pandémie, voit la contribution américaine suspendue. Et je ne parlerai pas de l’ONU qui peine à remplir ses missions de maintiens de la paix, ni de la sortie des Etats-Unis en 2018 du CDH (Conseil des droits de l'homme). Pourtant le rôle de ces instances dans la coopération internationale devrait être fondamental. Et elles sont les seules qui pourraient permettre de réguler la mondialisation de l’économie de marché. Elles doivent être indépendantes des états les plus puissants, et acquérir une légitimité internationale pour devenir plus contraignantes.

D’ailleurs dans son ouvrage Thomas Piketty conclut que sans coopération internationale sur les données bancaires, sans la disparition des paradis fiscaux, il est impossible de réduire les inégalités par un impôt sur le patrimoine car les plus fortunés trouveront toujours des moyens de fuir l’impôt (Le capital du XXIè siècle - 2013).

S’il existait un code du travail, de l’éducation, de la santé permettant de vivre décemment dans chaque pays, et des règles de respect de l’environnement contraignantes pour avoir le droit de participer au commerce international, il y aurait alors un espoir de freiner les multinationales qui n’ont aucun scrupule à exploiter les êtres humains ou abîmer l’environnement pour satisfaire le désir de croissance de leurs investisseurs.

Sans l’organisation d’une véritable coopération internationale, les multinationales les plus puissantes trouveront toujours des biais à exploiter pour contourner les législations locales qui les gênent et maximiser leur profit au détriment de l’humanité ou de la planète. Et sans cette organisation, si nous nous contentons de réponses locales, d’un repli sur nous-mêmes, l’économie de marché mondialisée reprendra inévitablement le dessus et nous entraînera avec ses excès vers le mépris de la dignité humaine, l’épuisement de nos ressources, une dégradation irréversible de l’écosystème global dont nous dépendons pour vivre, et vers d’inévitables conflits.

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