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Lecteur, auditeur, gratteux, paresseux, écologiste radical et enseignant à l'occasion mais pas trop.

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Billet de blog 9 juillet 2025

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Liberté pour apprendre, une société sans écoles casernes

Les politiques éducatives ne font plus depuis bien longtemps les points forts des débats politiques. La classe dirigeante a tout intérêt au statut quo. Pourtant l’actualité nous rappelle régulièrement les graves défauts de notre système éducatif actuel. Remettons l’enfant au cœur des préoccupations sociétales.

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Notre système éducatif français, souvent réduit à tort à son mythe incontournable « l’école », est une vieille institution peu remise en cause dans son essence même. Puisque ce service public est devenu une institution, il est donc démocratiquement nécessaire d’en faire une critique sans concession. Je vais ici tenter un tour de piste des rôles sociologiques qui lui sont dévolus, de l’état actuel de leur efficacité et, sans prétendre apporter de solutions, proposer une voie propice à des changements utiles.

Lire, écrire et calculer.

Les « savoirs fondamentaux », selon la nomenclature officielle, font l’objet d’une attention particulière depuis déjà de nombreuses années. Ils sont même au cœur du mythe scolaire depuis sa création. Les résultats des évaluations nationales et internationales en dressent un bilan plutôt mitigé, voire sombre au moins pour la culture mathématique. Mes constats personnels m’interrogent : d’une part je croise peu de lycéens et d’adultes amateurs de littérature, d’autre part le professeur de mathématiques que je suis ne peut que constater avec dépit le désamour profond de nombres de Français pour les mathématiques. Et pourtant la production littéraire francophone reste pléthorique et reconnue, et l’école de mathématiques française demeure une des plus prolixes au monde, et ce malgré le manque criant de moyens dévolus à la recherche. Ce décalage profond entre le peuple et son élite sur ces deux disciplines fondamentales en dit long, je crois, sur le prix à payer de l’école du « mérite ». Celle-ci n’est-elle qu’un moyen de sélection d’une élite qui se fait au détriment de la formation de ceux qui en seront exclus, c’est-à-dire la majorité des citoyens ?

Acquérir une culture générale pour comprendre le monde et pouvoir y agir.

Je parle ici particulièrement de l’histoire, de la géographie, de l’éducation aux médias, de la culture scientifique et des sciences économiques et politiques. Ces disciplines forment le bagage nécessaire pour comprendre le monde actuel, expliquer son fonctionnement et peser sur les changements nécessaires à son amélioration. Force est de constater les chiffres effrayants des croyances persistantes dans certaines informations fausses ou infondées : platitude de la Terre, existence et présence de vies extra-terrestres, complotismes divers par exemples. Les aberrations portées par les réseaux sociaux semblent mieux assimilées que les contenus de programme correspondants. Quiconque participe un jour à une campagne électorale locale (municipale, départementale ou régionale), sait à quel point les citoyens sont ignorants quant aux rôles et fonctionnement des collectivités afférentes. Pour beaucoup, y compris dans le système scolaire, la citoyenneté s’arrête à l’élection d’un(e) représentant(e) dont plus personne n’attend qu’il ou elle mette en œuvre les promesses tenues lors de la campagne. Même la capacité à débattre sereinement des sujets qui nous divisent semble avoir déserté notre société, où toute discussion contradictoire est assimilée à un conflit insupportable.

Former des citoyens libres et responsables.

Le constat est amer. Les citoyens désertent les partis politiques qui ont perdu à leurs yeux toute crédibilité. Plus du quart d’entre eux vote pour un parti raciste, fasciste, anti IVG, homophobe et transphobe. Une grande partie ne s’intéresse pas aux politiques locales et nationales, et ne s’informent que par des médias non indépendants des pouvoirs économiques. Les prisons de la République débordent et la justice se fait expéditive sans pour autant éponger les nombreuses procédures en cours. Regardons à l’école : l’enseignement de la citoyenneté se fait de manière le plus souvent magistrale et s’arrête généralement au fonctionnement des institutions. La vie démocratique des établissements scolaires se cantonne quant à elle à un simulacre qui ressemble bien trop à celui de la vie démocratique nationale. Élections de délégués au rôle cosmétique, absence de débat populaire sur la loi (i.e. le règlement intérieur et les règles de vie de la classe en cours) conditionnent le futur citoyen dans sa fonction à venir d’électeur désabusé. Personne n’imagine des élèves donnant leur avis sur le contenu et la forme des cours ou les relations entre eux et les enseignants.

Apprendre un métier.

Lorsque les étudiants obtiennent un diplôme qualifiant, ils commencent le plus souvent leur carrière par une série de stages non rémunérés sous prétexte de formation interne et d’emplois mal payés en dessous de leur qualification. Quand la politique consiste à remettre en selle l’apprentissage en alternance, on retrouve les mêmes formes d’exploitation du stagiaire que celles qui avaient conduit au siècle dernier à l’extinction de cette voie de formation.

Garder les enfants pour permettre à leurs parents de travailler.

Cette fonction sociale, certainement la moins assumée par l’institution, semble être celle qui fonctionne le mieux. En France, les femmes peuvent travailler presque comme les hommes. Les enfants sont scolarisés toute la journée de trois ans à dix-huit ans pour une très grande majorité d’entre eux. L’allongement de la scolarité, en sortant nombre de jeunes du marché du travail, permet de conserver des emplois pour leurs parents (et surtout de faire baisser les chiffres du chômage). Le coût croissant des études enchaîne davantage de parents à leur activité professionnelle, les incitant à travailler encore davantage. Notons d’ailleurs en passant le volonté toujours vive de la classe politique d’allonger le temps scolaire en rognant sur les vacances.

Conclusions et perspectives

L’école d’aujourd’hui, comme celle de Bourdieu dans les années 60, ne réussit que dans la reproduction des élites et leur légitimation sociale, et comme outil de régulation de la classe laborieuse. Les rôles sociologiques de l’école doivent revenir au plus vite dans le débat politique. Il faut déconstruire le mythe scolaire à la vue de son bilan. L’enseignement de masse, par classes d’âge, formaté sur le modèle des lycées napoléoniens est avant tout un échec (ce n’est pas une surprise pour les lecteurs d’Ivan Illich), dont je n’ai pas ici évoqué les conséquences désastreuses sur la psychologie des enfants, adolescents et jeunes adultes. Un enfant n’a pas vocation à absorber comme une éponge des contenus déversés sur lui sans considération aucune pour sa sensibilité et sa personnalité. Un enfant se construit par le jeu social, en interactions avec ses pairs et des adultes non experts mais éducateurs (l’éducation d’un enfant doit être la préoccupation de la société entière). Un enfant a besoin de passer du temps avec ses parents et ses grands-parents (et vive la retraite à soixante ans!), avec leurs amis, voisins et proches pour agir, discuter, travailler et jouer avec eux. Un enfant doit être au contact de la vie réelle et pouvoir agir sur le monde qui l’entoure qui ne doit pas se limiter aux tristes murs de son école-parking.

L’éducation populaire, l’éducation spécialisée, la psycho-sociologie des enfants et des adolescents détiennent des savoirs et savoirs-faire indispensables à une reconstruction populaire et citoyenne d’un système éducatif qui ferait voler en éclats les écoles-casernes et les collèges-et-lycées-prisons. Personne n’apprend avec bonheur sous le régime de la coercition. Comme sur bien d’autres sujets, les citoyens doivent reprendre en main les politiques d’éducation pour les mettre réellement au service de leurs enfants et non d’une élite politique et économique en sécession.

Bibliographie

BOURDIEU Pierre PASSERON Jean-Claude, Les héritiers, 1964

ILLICH Ivan, Une société sans école, 1971

OURY Fernand PAIN Jacques, Chroniques de l’école caserne, 1972

ROGERS Carl R., Liberté pour apprendre ?, 1969

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