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Billet de blog 22 février 2016

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Gene Kerrigan : Dernier acte pour la politique de la peur en Irlande

Pour le journaliste Gene Kerrigan, les élections de vendredi prochain pourraient bien sonner le glas de la vieille politique et faire émerger de nouveaux partis en Irlande. A condition que les électeurs ne se laissent pas intimider… Traduction de sa tribune parue hier dans le Sunday Independent.

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Note d'avant lecture : les partis irlandais ont des noms bizarres. Voilà, en gros, ce qu'il faut savoir :

  • Fianna Fail : le Parti Républicain. Formation politique qu'on pourrait qualifier de droite souverainiste ayant gouverné le pays de 1997 à 2011. S'est écroulé suite à sa gestion hasardeuse de la crise économique.
  • Fine Gael : le Clan des Gaels. Formation politique de droite libérale ayant gouverné de 2011 à aujourd'hui avec l'aide du Parti Travailliste.
  • Sinn Féin : Nous Mêmes. Formation politique de gauche. A été, longtemps, liée à l'IRA. Est accusé, souvent, d'être encore lié à l'IRA.

***

Dernier acte pour la politique de la peur

Lentement, alors que les partis tentent de nous effrayer, les électeurs délaissent la vieille politique.

C'était le soir des élections, en 2011. Les chiffres étaient tombés et un poète passait sur RTE (la télévision publique – ndr). Peut-être que les experts habituels étaient occupés cette soirée-là – vous savez de qui je parle, les vieilles têtes habituelles. Ces experts qui aiment dérouler des kilomètres d'informations inutiles. En lieu et place de ces vains bavardages, nous avions devant nous le poète Theo Dorgan qui nous exposait un véritable constat politique de ce qu'il nous arrivait.

« J'ai l'impression, disait-il, que c'est une période d'intérim qui commence dans un long processus de changement. »

Dans un moment nous verrons à quel point la théorie de Dorgan tient debout. Et nous noterons également quelle putain de trouille on essaye de nous foutre depuis une semaine. Pardonnez mon langage, mais c'est ainsi que le Fine Gael parle ces derniers jours.

D'habitude, les pontes couvrent la campagne électorale comme s'il s'agissait d'un feuilleton s'étirant sur quatre semaines. Le feuilleton a des hauts et des bas, des instants comiques et du suspense, des gagnants et des perdants, et les experts commentent la prestation des politiciens. Pendant ce temps, tels des adolescents monomaniaques, mes collègues se plongent dans la minutie des statistiques dans l'espoir de « prévoir » la répartition des sièges plus tôt, et plus précisément que tel autre expert.

Mais qui, mes amis, s'y intéresse vraiment ?

Ne vous méprenez pas. Toute cette spéculation concernant le pourcentage de quota qu'on candidat obtiendra si les troisièmes préférences sortent des urnes dans le partie est de la circonscription – tout ça est très intéressant.

Quand je dis très intéressant, je veux dire vaguement intéressant.

Quand je dis vaguement intéressant, je veux dire : presque aussi intéressant que d'écouter les cours du bétail.

(…)

Dorgan, 2011 : « Rien dans cette élection ne m'a convaincu que le Fianna Fail, le Fine Gael ou une grande partie du Parti Travailliste comprend… à quel point la situation est désespérée… A quel point la vieille politique est incapable de la gérer. »

Cinq ans plus tard, rien de nouveau sous le soleil.

Pendant des décennies les partis issus de la guerre civile se sont entre-déchirés, et tous les autres ont été poussés hors de scène. Petit à petit, les inimitiés de la guerre civile se sont estompées, le Fianna Fail et le Fine Gael sont devenus des tribus concurrentes avec peu de différence politique significative entre elles. En menant leurs fausses batailles, ils se sont joyeusement succédés aux commandes du pays, aidés, parfois, par de plus petits partis.

Après que les partis de droite aient détruit l'économie du pays, ils ont eu la faiblesse de croire que rien n'avait fondamentalement changé. Le Fine Gael prendrait la relève pour un mandat alors que le Fianna Fail ferait pénitence. Ensuite, après quelques années, on pourrait revenir à notre bon vieux modèle.

Pour vous faire une idée du désastre politique, essayez d'imaginer un autre casting en 2007. Richard Boyd Barrett, de People Before Profit, au ministère des finances. Ruth Coppinger du Parti Socialiste au poste de Premier Ministre. Imaginez que leurs mesures de gauches ont ruiné l'économie. Imaginez qu'elles nous ont plongé dans des dizaines de milliards d'euros de dettes, causé un chômage de masse, une émigration de grande ampleur, des coupes budgétaires, des impôts d'urgence, des hôpitaux démantelés, des files d'attentes à la soupe populaire, des milliers de sans-abris.

Laissez-moi écrire les éditoriaux pour vous : « Calamité absolue … horrible expérimentation gauchiste… Jamais, plus jamais les électeurs ne seront assez stupides pour… folie… gauche tarée... »

Imaginez Clare Daly, du Parti Socialiste, ministre des finance. Imaginez qu'elle ait essayé de forcer les banquiers et les créanciers à payer leurs propres dettes, et que le banquier en chef de l'UE, Jean-Claude Trichet, l'ait envoyée se faire voir se faire voir, et qu'elle se soit prosternée immédiatement devant lui. Les éditoriaux auraient condamné cette faible femme et expliqué que tout ça ne serait pas arrivé si un homme, un vrai comme Michael Noonan avait eu le job.

Mais Noonan l'avait, le job. Il s'est prosterné, et ça nous a coûté des milliards.

Toutes ces choses sont arrivées. Elles sont arrivées sous le règne du Fianna Fail, avec le Fine Gael et le parti travailliste l'accusant de ne pas être assez droitier – et promettant des mesures encore plus dures une fois les Mercedes sous leurs propres culs.

Après ça, le Fine Gael et le parti travailliste ont protégé ceux qui ont ruiné le pays. Et nous ont tendu l'addition. Maintenant ils se vantent de la reprise de l'économie, inconscients des dégâts qu'ils ont causés. Les sondages suggèrent que les partis de droite perdent en popularité, et que cette fuite est dispersée, provisoire. Voilà Dorgan en 2011 : « Je pense que le Fianna Fail n'est plus qu'une bête morte dans le fossé en ce moment. »

« La prochaine fois, je pense que ce sera au tour du Fine Gael d'être décimé. Les gens sont en train de vivre un étrange et très lent effondrement de l’État. Ils en ont fini avec l'un des gros monolithes. Ils donnent maintenant, scrupuleusement, sa chance à l'autre monolithe, à la vieille politique. »

Aujourd'hui, une partie substantielle de l'électorat s'est détachée de la vieille politique. On peut sentir la peur dans les partis, dans les médias. La vieille politique compte sur la peur pour garder son emprise sur nous. Votez pour la vieille politique, on nous dit, sinon l'économie s'écroulera, il y aura énormément de chômage, une émigration massive et…

Hé, les gars. Tout ça est déjà arrivé, et vous en êtes les responsables. Vos partis, vos banquiers, vos promoteurs, vos politiques de droite. « Ah mais maintenant tout ça est derrière nous, ils nous disent, nous avons changé. » Et leurs majorettes apeurées de cracher sur tout changement potentiel osant montrer son visage.

Mais nous savons que le Fianna Fail est marié aux promoteurs. Nous savons que le Fine Gael a adopté encore plus de mesures de droite. (…) En conséquence de quoi l'électorat envisage les petits partis et les Indépendants. Ca ne dérangera pas le Fine Gael que vous votiez pour le Fianna Fail, et vice-versa. Ce qui les effraie, c'est que les électeurs délaissent bon vieux jeu auquel les partis adorent jouer.

La semaine passée, un « stratégiste clé » d'Enda Kenny a murmuré à l'oreille du Sunday Business Post que pour les dix derniers jours de la campagne ils allaient « foutre la trouille » aux électeurs. Depuis, on a pu admirer les épouvantails au travail sur nos écrans et dans nos journaux. Le crime ici n'est pas le dédain exprimé pour les Indépendants et les petits partis. Ils s'en remettront. Le crime, c'est le harcèlement brutal infligé aux électeurs.

Malgré tout des gens comme Richard Boyd Barrett ont eu accès pour une fois à un débat télévisé, et il s'avéra qu'il n'avait ni cornes, ni fourche. Seulement des mesures raisonnables et du mépris pour les lâches et les escrocs. De même, Stephen Donnelly des Sociaux Démocrates. Il faudra plus que deux élections pour apporter le changement, mais nous en prenons au moins la direction.

Certains d'entre nous se méfient du Sinn Fein. Nous n'avons pas peur que Mary Lou (McDonald, députée SF - ndr) dégaine un AK47. Nous avons peur que le Sinn Féin fasse son trou dans la vieille politique.

Dorgan, 2011 : « Une nouvelle façon de penser est en train de lutter pour sa naissance. Et elle n'est pas près de se faire couper la tête ni d'être récupérée par les faiseurs d'images. »

Nous verrons vendredi prochain si la politique de la peur sera parvenue à tuer cette nouvelle façon de penser.

Le texte original est ici.

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