Singapour, 16 h 44. Dans quinze minutes, le bureau de KLM Air France devrait ouvrir au terminal 1 de l'aéroport Changi. Depuis le samedi 17, minuit 30, les hôtesses répètent inlassablement aux nouveaux arrivants, frustrés de ne pouvoir rentrer chez eux, qu'elles ne peuvent rien faire sinon informer qu'il est impossible de se rendre en Europe. Parfois avec un brin de condescendance.
Il faut que les voyageurs contactent les centres d'appel des deux compagnies à Singapour. Sont-ils à Singapour d'ailleurs? Un jeune membre du staff qui apprend la gestion de crise m'apprend qu'ils sont à Sydney. Mais sont-ils à Sydney? J'appelle. Personne ne répond. Le silence. La belle transparence et fluidité du trafic aérien mondial a laisse la place à une opacité étonnante, à l'image de ce nuage qui va bientôt remplacer celui du triste 11-Septembre.
Le nuage si lointain et si présent. Volcano ashes. Les différents groupes de voyageurs qui se succèdent au bureau de KLM acceptent leur sort avec fatalisme. Ils quittent rapidement le hall pour un hôtel dont la compagnie a fourni une liste (le Four seasons, le Hyatt, le Ritz, j'en passe. Bref du bas de gamme).
La hantise des aéroports est de se retrouver avec des masses de voyageurs dans les terminaux. Pour l'instant prime la discipline. Chacun semble se résigner au fatum volcanique. Les cendres dictent leurs lois. On ne peut rien y faire. Peu de colère, peu de mécontentement. Sauf force majeure (telle cette Suissesse qui doit rentrer pour des soins, ce couple qui a laissé son enfant à la maison), les voyageurs ne sont peut-être pas si mécontents de rester bloqués loin de chez eux.
Aujourd'hui lundi, je rencontre un couple de Polonais. Nous avons dormi ensemble sur la moquette de l'aéroport. Ça crée des liens. A 11h20, un officiel de l'aéroport vient nous chercher pour nous amener dans des salles à l'étage. Il ne faut pas que le bel ordonnancement de l'aéroport soit perturbé par des corps allongés le long des murs. D'autres voyageurs pourraient les rejoindre. Attention danger. J'ai l'impression d'être une bête enragée qu'on cherche à éloigner du troupeau. La «léproserie» est sommaire. Une salle vide. Dans un coin: des sachets de Burger king. Plus tard dans la journée, on nous propose de rejoindre un hôtel: je refuse. Mes «amis» polonais acceptent. Je me retrouve dans une immense salle de 70m2, seul, éclairé par les seuls néons. Quand l'aéroport se métamorphose en antre de la folie...