La France a vu se développer récemment le système de référents de quartier. La petite commune de La Crau a, plus que les autres, été sous les feux des projecteurs. L… C… est une petite ville paisible de l’agglomération de T… , « entre mer et campagne » comme aime à le rappeler la page d’accueil de la ville. « Une cité qui, malgré la folie du développement urbain dans » le département du V…, « réussit à grandir sereinement, en conservant son identité et son esprit de clocher »[1]. L… C… qui compte « aujourd’hui près de 17000 habitants » sur 3800 hectares tente de s’adapter à cette « démographie croissante ». Les chiffres de l’INSEE révèlent partiellement cette croissance démographique[2]. En 1968 le canton comptait 13 713 habitants. En 2007 ce chiffre était passé à 35 825. La croissance de la commune semble s’être accélérée dans les années 90 (25 526 en 1990, 31 676 en 1999)[3]. Cette croissance démographique n’est due que très partiellement au solde naturel. Entre 1990 et 1999 celui-ci se situe autour de +0,1%. Pour la décennie suivante il est nul. Si le canton de la Crau gagne de la population c’est bien grâce à un solde migratoire positif qui tend d’ailleurs à diminuer. Situé autour de 4,5% dans les années 75, il est passé à 1,5 % entre 99 et 2007[4]. La comparaison effectuée par l’Insee sur la période 1999-2008 montre que les taux de natalité et de mortalité ont tendance à s’équilibrer confirmant par là un certain vieillissement de la population. En 2002, 2003, 2005, 2006 et 2008 le taux de mortalité est ainsi supérieur aux taux de natalité[5]. D’autres diagrammes confirment l’augmentation de la part des personnes âgées. En 2007 les plus de 75 ans représentaient près de 9% de la population du canton, la tranche des 60-74 ans près de 19%, celle des 45-59 ans 22,5%. Les catégories d’âge inférieures voient leur part respective diminuer entre 99 et 2007. La petite commune est « chaleureuse et accueillante, il y fait bon vivre autour de ses places, dans sa rue commerçante, avec son marché bi-hebdomadaire et ses joueurs de boules qui aiment se retrouver chaque jour à l’ombre des platanes. C’est aussi un lieu où les habitants peuvent se rassembler lors des fêtes annuelles et contribuer à faire vivre son âme »[6]. Si la commune cherche à préserver son identité, elle ne néglige pas l’ouverture sur l’extérieur, essentiel à son développement. Elle met en avant sa « grande facilité d’accès de par la présence d’une gare SNCF, par sa proximité avec le port de Toulon, l’aéroport d’Hyères, et l’autoroute »[7]. Bref on ne saurait mieux dire que la ville de la C… est une ville ouverte si ce n’est sur le monde, du moins sur l’extérieur. Son identité repose sur des éléments naturels comme ses « cours d’eau », son patrimoine religieux (« la chapelle Notre-Dame de Consolation, construite en 1850 et rénovée en 2004, ses activités comme l’agriculture qui « reste l’activité dominante au travers de la viticulture (11 domaines viticoles, 48000 hectolitres de vin par an) et l’horticulture (250 hectares de fleurs) ».
L.. C… est essentiellement peuplée d’honnêtes gens, parfois retraités dont la seule aspiration est de vivre tranquillement. D’ailleurs la tranquillité est un droit comme la sécurité. Son maire C... S... élu en 2008 avec la liste Rassemblement C… l’a bien compris, lui qui est un enfant du pays. Il a d’ailleurs succédé à son père G… S… (trois mandats à son actif) qui fut un bon maire à en croire les électeurs qui ont décidé d’accorder leur voix au fils. La France présente toutes les apparences d’une République, mais féodale. Des lignages se succèdent à la tête de l’Etat et des petites localités comme L… C… . Lorsque C… S… décide, « les 7 et 9 avril 2010 » de constituer des groupes de référents de quartier c’est dans cette population de « paisibles retraités »[8] qu’il va puiser. La mairie « a pioché dans la liste des membres du Comité d'intérêt local (CIL), avec la bénédiction de sa présidente, Jacqueline Boni, 73 ans, qui se dit à l'origine de l'idée »[9]. Joël Palud, l’un des référents choisis par le maire de La Crau pour signaler « tout dysfonctionnement » sur la commune, n’accepte « pas d’être catalogué comme un type louche dans le quartier qui espionne tout le monde et assimilé aux délateurs d’une “sombre période de l’Histoire”. Quand je me promène dans ma commune, j’estime que, comme tout citoyen responsable, j’ai le devoir de signaler en mairie ou à la gendarmerie des situations anormales qui engagent la sécurité des biens et des personnes. Je le faisais avant d’être référent et je le ferai en toutes circonstances quand la situation l’imposera si j’estime rendre service à la collectivité. Mes voisins immédiats savent que j’exerce cette mission et cela ne nous empêche pas d’entretenir d’excellentes relations[10]. » Il n’en demeure pas moins que la mise en place du système a créé la polémique. Aux yeux de C… Simon celle-ci est le fruit d’une « manipulation »[11]. « Gros titres racoleurs, interviews dirigées concourent alors à une désinformation organisée pour monter en épingle un sujet qui pourrait être sans intérêt particulier. Dans cette frénésie médiatique faisant de La Crau l’objet de toutes les attentions, il ne nous manquait plus que de faire l’ouverture du 20h00 sur les chaînes télévisées » ! (…) Les Référents de quartier, qui existent d’ailleurs sur bien d’autres communes, ne sont pas des agents de renseignements, type agents de la STASI, qui mettent en péril la liberté des administrés, comme aiment à le faire croire les élus de notre opposition qui ont monté de toutes pièces cette affaire ». Il est vrai que le système n’est pas propre à La Crau. On le trouve appliqué à Meulan en Yvelines, à Marly, près de Valenciennes, dans la commune de Romagnat (63), à Argenteuil et jusque dans la commune de La Farlède à proximité. Ces communes ne sont pas forcément urbaines. L’objectif de ces référents semble être de créer du lien et finalement de développer une véritable démocratie locale. Aux yeux de Simon il s’agit surtout de gérer un territoire très étendu. « L’aide attendue était que soient portés à notre connaissance, les différentes dégradations observées sur les équipements, la voirie, l’éclairage, les problèmes liés au stationnement, à la propreté, à la collecte des ordures ménagères, les possibles dysfonctionnements de nos services, les améliorations qu’ils souhaiteraient voir apportées. Dans ce système, le référent de quartiers a trouvé toute sa place car il vit au coeur de la commune. Il connaît, par les relations qu’il entretient avec son entourage, les attentes de ses voisins qu’il côtoie chaque jour de l’année. Il a pour lui la réactivité immédiate face à ce qui peut représenter une urgence. C’est dans ce sens que nous avons demandé leur concours »[12]. La décision a cependant été mal reçue, notamment par certains citoyens de la commune. L’anonymat initial des référents (dont l’identité a depuis été dévoilée) était en effet assez inquiétant. Faut-il le mettre sur le compte de la maladresse ? Leur nombre semble par ailleurs disproportionné (près de 1 pour 80 habitants, 200 au total). Surtout, contrairement à d’autres communes utilisant le même système, ces référents (citoyens ordinaires) se voient investis d’une délégation d’autorité que ne leur a nullement conféré un quelconque scrutin. Il est à noter que les communes de Meulant ou d’Argenteuil ont nommé pour référents des membres du conseil municipal. Sur quelles bases ont été désignés les référents de la Crau ? Sur leur appartenance au comité d’intérêt local. Surtout la mise en place de l’organisation n’a reposé sur aucune délibération du conseil municipal. « Celui-ci semble ne pas avoir été informé de la mise en place de cette structure avant qu’un élu de l’opposition n’interroge le maire sur le sujet le 8 avril 2010. Ces surveillants sont “anonymes” : la liste des référents n’est pas connue, pas plus que les conditions dans lesquelles ils ont été sélectionnés. Leurs prérogatives, le rôle qui leur est assigné, ne sont pas précisés[13] » cet anonymat était semble-t-il souhaité par la mairie. Malgré les demandes de l’opposition de dévoiler l’identité de ces référents les édiles opposèrent une fin de non-recevoir[14]. La plus grande confusion plane également quant aux motivations réelles de M Simon. D’après Jean Codomier (opposition de gauche) la principale raison avancée par G.. S pour justifier de la mise en place de ces référents est la sécurité des personnes et des biens[15]». « Concernant les référents de quartier, M. le Maire évoque une volonté gouvernementale d’instaurer un système de “vigilance citoyenne” ». On est loin des raisons de gestion avancées initialement. L’exigence de sécurité, la peur des autres (sous couvert de créer du lien) sont-ils en train d’asphyxier la démocratie ? Ces référents sont-ils utiles ? Sous le IIIe Reich « chaque ensemble de maisons avait un gardien d’îlot[16]». A la veille de la guerre ils étaient probablement près de deux millions[17]. Leurs fonctions n’avaient strictement rien à voir avec les attributions des référents actuels (il surveillait la suspension des drapeaux etc…). Si les référents comme Joël Palud paraissent bien inoffensifs rien n’assure que le système ne soit pas perverti à terme. « Ceux qui s’attiraient la vindicte des gardiens d’îlot risquaient aussi de se voir refuser les allocations de l’Etat et les versements de l’aide sociale »[18]. Cette multiplication des petits chefs à l’échelon local nous semble porteuse d’une dérive à laquelle il faut prendre garde.
[1] Ville de la C… .fr, page d’accueil.
[2] Les données portent sur le canton de La Crau, hors Hyères.
[3]Sources : Insee, RP1968 à 1990 dénombrements - RP1999 et RP2007 exploitations principales.
[4] Sources Insee, Insee, RP1968 à 1990 dénombrements -RP1999 et RP2007 exploitations principales - État civil.
[5]Source : Insee, État civil
[6] Ibid.
[7] Ville de la C… .fr, page d’accueil.
[8] FESSARD (Louise), Mediapart, 16 février 2011.
[9] FESSARD (Louise), Mediapart, 16 février 2011.
[10] Var matin, 5 février 2011.
[11] Edito de Gilles Simon, mars 2011.
[12] Edito de Gilles Simon, mars 2011.
[13] Compte-rendu de l’opposition de gauche, ensemble pour la Crau.
[14] Compte –rendu de l’opposition, octobre 2010.
[15] Ibid.
[16] EVANS, le IIIe Reich, Vol II, Flammarion, Paris, 2009, p 127
[17] Ibid, p 127.
[18] Ibid, p 128.