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Billet de blog 28 décembre 2022

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Appel de Strasbourg : il faut sauver le Karabagh arménien

La population civilе du Karabagh subit depuis plus de deux semaines un blocus de la part de l’Azerbaïdjan dont les conséquences humanitaires sont déjà critiques et seront bientôt désastreuses. Privés d’approvisionnement extérieur via une route qui relie leur territoire à l’Arménie, les Karabaghiotes sont désormais menacés de famine, une famine délibérément provoquée par une dictature criminelle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le Karabagh arménien, tout comme l'Arménie et l'Azerbaïdjan, a été formé dans le cadre de l'URSS. Sur la base bien sûr d'une histoire plus profonde, plus ancienne, mais il faut nécessairement partir de ce cadre. Ainsi, le Karabagh arménien était avant 1991 une région arménienne de la République Socialiste Soviétique d'Azerbaïdjan. Pas simplement un territoire de cette République donc : une région arménienne de celle-ci.

De fait, il existait une composante nationale arménienne en Azerbaïdjan dont on peut facilement documenter la riche histoire. Les Arméniens étaient nombreux même hors du Karabagh, à Bakou et dans sa région, à Gence, appelee Ganjak en arménien, au Nakhitchevan. Les Arméniens étaient nombreux aussi dans les instances officielles, administratives, économiques, culturelle ou sportives de l'Azerbaïdjan soviétique.

Une riche histoire, mais une histoire tragique au bout du compte. Le réveil du nationalisme en Azerbaïdjan, perceptible au moins dés les années 1980, a entrainé le développement de la ségrégation, puis des persécutions à l'encontre des Arméniens d'Azerbaïdjan. Les massacres de Soumgait, dans la région de Bakou ont marqué notamment un sanglant tournant vers la tendance génocidaire, dont le régime d'Ilham Alyev est aujourd'hui le triste aboutissement.

L'objectif du régime d'Ilham Alyev est d'étrangler coûte que coûte la population arménienne du Karabagh pour la pousser au départ, en la menaçant en permanence de l'anéantissement.

Afin de justifier l’injustifiable, le régime de Bakou emploie une rhétorique juridique qui masque son ambition réelle, celle d’un nationalisme meurtrier qui entend priver une population arménienne de son droit fondamental à la vie. Devant un tel enjeu, les arguties légalistes sur des frontières héritées de l’URSS sont hypocrites : si le Haut-Karabagh a bien été effectivement détouré comme région autonome de l’Azerbaïdjan soviétique dans le cadre de la politique des nationalités de l'époque stalinienne afin de garantir une dimension multinationale, et notamment arménienne à l'Azerbaïdjan, le Haut-Karabagh n'a de fait, durant toute son histoire, jamais été qu’arménien. Cela concerne aussi du reste les territoires contigus du Karabagh arménien, comme le district de Chahoumian, ou proche, comme le Nakhitchevan, que la dictature de Bakou a implacablement vidé de leur population arménienne. 

En définitive, la guerre d’indépendance de 1991 par laquelle le Haut-Karabagh s’est séparé de l’Azerbaïdjan qui venait lui-même de faire sécession de l’URSS a mis un terme à un processus d’épuration ethnique que le régime nationaliste de Bakou avait déjà bien enclenché. Le développement de la ségrégation, puis les persécutions à l'encontre des Arméniens se sont poursuivis par les massacres de Soumgait puis de Bakou et de Kirovabad qui en ont constitué le paroxysme. Par ses menées, l’actuel régime d'Ilham Aliev ne déroge en rien au racisme d’État institué par son père et en n’en constitue finalement que le triste aboutissement.

De 1991 à 2020 néanmoins, les Arméniens du Haut-Karabagh ont su s’abstraire de cette menace existentielle en exerçant leur droit à l’autodétermination par la création d’un État indépendant et par l’érection d’institutions démocratiques. Durant 30 ans, la situation est ainsi restée gelée, avec un Karabagh libre de facto, quoique non reconnu internationalement, organisant toutefois avec détermination son existence institutionnelle, économique, culturelle et sa défense. Jusqu'à la brutale offensive de 2020, qui a réactualisé la menace de Bakou avec l’occupation de larges pans du territoire karabaghiote, avec leur épuration ethnique totale et avec une menace directe sur les quelques cent-vingt mille Artsakhiotes désormais regroupés en zone libre. Le blocus opéré par Bakou depuis ce 12 décembre vise très clairement à aller au bout de cette logique génocidaire en poussant cette population à choisir entre l’abandon définitif de ses terres ancestrales ou à mourir sur place. 

Nous ne pouvons laisser passer ce chantage à la valise ou au cercueil. Nous ne nous pouvons pas tolérer cette coupure inadmissible du « corridor de Latchine » car il constitue ouvertement un projet planifié d'extermination de la nation arménienne du Karabagh. C'est-à-dire d'un génocide. Nous ne pouvons plus laisser la dictature de Bakou – qui opprime ses propres citoyens – déverser jour et nuit une propagande de haine ethnique à l’encontre des Arméniens, propagande qui entraîne l’asservissement des azerbaïdjanais tout en tuant tout espoir de réconciliation régionale. Voici la dramatique mathématique qui étrangle les Arméniens du Karabagh dans le même geste qui étouffe la démocratie en Azerbaïdjan.

Strasbourg, capitale européenne des Droits de l'Homme, siège du Conseil de l'Europe, symbole de l'affirmation d'une Europe fondée sur la démocratie et la paix entre les peuples, dont l'Azerbaïdjan tout comme l'Arménie sont parties prenantes, peut d’autant moins rester silencieuse que son Conseil Municipal a déjà fait entendre son opposition à toute solution militaire et à toute forme de persécution visant les populations civiles de la République du Haut-Karabagh lors de l'invasion de l’automne 2020.

A l’instar du Sénat, à l’instar de l’Assemblée nationale, à l’instar de Paris, Lyon et Marseille récemment, Strasbourg doit réaffirmer les droits fondamentaux des habitants du Karabagh, leur droit à la libre circulation et aux services de bases en termes d'approvisionnement énergétique et alimentaire notamment. Strasbourg doit également réaffirmer que les Karabaghiotes jouissent de droits civiques et nationaux – le droit de s’exprimer dans leur langue, de choisir leurs représentants et leur représentation politique par exemple –  qui ne peuvent souffrir aucune atteinte.

Comme toutes les dictatures, le régime Aliev n’est fort que de nos faiblesses et il reculera devant notre détermination. Il a d’ailleurs déjà relativement reculé et ne conduit son projet criminel qu’avec prudence. En prenant position, le Conseil Municipal de Strasbourg doit lui aussi concourir à ce que ce régime cesse définitivement ses entreprises criminelles, reprenne les négociations politique avec les République d’Arménie et du Haut-Karabagh et s’engage dans un processus de démocratisation qui sera bénéfique à tous les peuples de la région, et aux Azerbaïdjanais en premier lieu. Toute guerre est une défaite, celle ci est d'abord celle de la démocratie en Azerbaïdjan, avec  l'amputation de toute une partie de sa propre histoire et de son identité, qu'insulte la grossière propagande et les grotesques postures militaristes d'Ilham Alyev.

Préparons le futur, nous en avons le devoir, et soyons les hérauts de la paix et du rapprochement entre les peuples. Voici notre noble responsabilité, voici la responsabilité à laquelle nous appelons le Conseil Municipal de Strasbourg.

Tribune rédigée par un collectif strasbourgeois de soutien à une solution pacifique et démocratique à la question du Karabagh arménien.

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