
En 1977, la réforme de l'apprentissage du solfège en France postule pour l'idée suivante : " Partir de la musique pour en découvrir le langage et ses techniques est plus formateur qu'une étude analytique abstraite, élément par élément, desséchante par définition dont l'usage démontre qu'elle tourne souvent le dos au but à atteindre : la connaissance et l'apprentissage de la musique " (Ministère de la culture, texte de la réforme du solfège, 1977). Partant de cette remarque pertinente, quels enseignements privilégier et comment les organiser dans le cadre d’une formation initiale? Doit-on prendre en considération la singularité de apprenant? Si oui, pourquoi et de quelle manière? Selon quels critères évaluer la qualité d'un enseignement musical? Quel est le rôle des pratiques collectives dans l’enseignement musical? La manière de transmettre est déterminante pour générer un apprentissage. De quels modèles pédagogiques s’inspirer? Autant de questions qui me rappellent qu'on est intélligent qu'à plusieurs...
Le rôle d’un formateur tient au fait que nous avons la faculté d'apprendre et une organisation sociale qui établie des modes de transmission. Dans le domaine de l'éducation, des pédagogues reconnus ont établi des modèles théoriques qui concernent la manière de transmettre, or qu'ils soient empiristes ou rationalistes tous postulent pour une conception de la condition humaine sans avoir d'explications biologiques à nous livrer. Henri Laborit en tant que sociobiologiste, nous dit qu'aujourd'hui aucun biologiste ne peut évaluer ce qui est de l'inné ou de l'acquis en l'homme (Laborit H., 1985). Je postule pour l'idée qu'il est nécessaire de prendre en compte ces deux aspects de la condition humaine dans une démarche pédagogique, notamment en ce qui concerne l'enseignement artistique.
Accompagner dans sa démarche d’apprentissage un apprenti musicien, consiste à susciter la mise en question de son expression musicale et de sa perception sonore, à éclairer son cheminement. La création des liens avec la musique s’accorde aussi avec l’imagination propre à chaque apprenant. Il est inconcevable de faire abstraction de leur originalité. Tout cela s'opère à travers le temps, à travers diverses expériences musicales, individuelles ou collectives. Cette idée d'accompagnement de l'apprenant, rejoint celle de Freinet lorsqu'il parle de tâtonnement expérimental dans Les méthodes naturelles dans la pédagogie moderne (Bourrelier, paris, 1956). L'apprenti musicien acquiert une expérience musicale en s'appropriant le langage musical en le pratiquant. D'où l'idée d'enseigner le solfège à “dose homéopathique” au départ de sa formation en parallèle de l'enseignement de la technique instrumentale. Cette démarche est en cela différente de celle de nombreuses écoles de musiques en France qui ont pour condition initiale à la pratique d'un instrument l'apprentissage du solfège. Selon cette conception, "il faut connaître les lois du langage et de l'écriture avant de prétendre se saisir d'un pinceau avant d'en connaître scientifiquement l'usage, ni mélanger les couleurs tant qu'on ne connaît pas les lois qui régissent le dessin et la peinture " nous dit Freinet, or, " c'est en marchant que l'enfant apprend à marcher ; c'est en parlant que l'enfant apprend à parler ; c'est en dessinant qu'il apprend à dessiner ". C'est en la pratiquant que l'on apprend la musique. En découle le choix de proposer d’entrer dans l’univers de la musique par la pratique instrumentale et d’introduire progressivement les notions théoriques. Les pratiques collectives sont un prétexte pertinent pour introduire des notions théorique; il s'agit d'accorder, d'harmoniser, de réunir les ingrédients d'un moment de fraternité musicale nous dirait peut-être Régis Debray...
Enfin cela peut paraître évident, mais il me semble pertinent de rappeler qu’une formation musicale doit avant tout être basée sur l’écoute, la perception de la matière sonore et son interprétation. Quel est le sens des “lectures de notes” dans les différentes clés, imposées dés l’entrée en formation dans de nombreuses écoles de musique ? Certes, cette méthode permet l’acquisition d’une certaine dextérité de déchiffrage, mais dans la plupart des cas les apprenants n’entendent pas les notes qu’ils savent lire. Ne trouverions-nous pas simpliste l’enseignement d’une langue débutant par la lecture d’un dictionnaire ? Le solfège est un support mais pas une condition préalable à une expérience de l'expression musicale.
Qui oserait prétendre connaître un “mode d’emploi”, un guide pédagogique universel? Il s’agirait alors de faire complètement abstraction de la complexité des systèmes cognitifs tels que l’être humain. Comme il est évoqué plus haut, nous avons la chance de bénéficier d’immenses ressources en la matière. Pourquoi se priver de mettre en question notre manière de transmettre sachant qu’il nous est possible d’éclairer nos réflexions à la lumière des précurseurs ? Ne serais-ce pas là le commencement de toute action éducative? Enfin, les grottes de Lascaux en témoignent, il existe en tout Homme ou Femme une force créatrice depuis fort longtemps, qui a une part prépondérante dans l’évolution de l’espèce humaine. Révéler ce potentiel intrinsèque et l’enrichir d’acquis avec de nouvelles expériences, ne serait-ce pas là le but de toute action éducative?
Nicolas Verzotti
Artisan et enseignant de l'expression musicale
Agitateur d'idées sonores percutantes