“De plus, laissé sans concurrence, le modèle de la gratuité pour l’information entraînera inévitablement une concentration, source d’une uniformisation accentuée et d’un pluralisme diminué.
Faute de sursaut, il arrivera à l’information sur Internet le même sort que celui des radios libres après la libération des ondes de 1981: les réseaux associatifs indépendants et citoyens progressivement rejetés à la marge, tandis que des opérateurs marchands se taillaient la part de lion, en organisant rachats et concentrations.
S’agissant de la libre information, qui suppose de pouvoir déplaire et déranger, la course à l’audience, donc au plus grand nombre, ne peut que favoriser un nivellement par le bas, par le plus spectaculaire, le plus racoleur ou le plus superficiel. De ce point de vue, décréter que la valeur d’échange de l’information, notamment politique au sens large, est définitivement nulle, réduite à un support publicitaire, c’est à terme porter atteinte à sa valeur d’usage qui est son utilité démocratique pour le lecteur citoyen, ce qu’une logique marchande à courte vue a par trop tendance à oublier.”
Médiapart a 6 mois. Avec 11 000 abonnés dont 2000 seulement sur du long terme, difficile pour Edwy Plenel de crier victoire. Et pourtant, dire que le “modèle Médiapart” est un échec serait un raccourci trompeur. Et si Edwy avait eu raison ?
Son analyse du web, toujours empâtée, se fait cependant plus fine, comme en témoigne l’extrait ci-dessus. Certes, 200 000 visiteurs uniques est une audience peu reluisante au regard des moyens déployés (et c’est un cinquième de l’audience requise pour intéresser les annonceurs - donc visé par ses concurents gratuits - chemin que Médiapart s’est engagé à ne pas prendre).
Mais la rentabilité pourrait être tout ailleurs. L’offre mobile - entre autres nouveautés attendues sous peu - devrait trouver des débouchés économiques prometteurs. Je crois que c’est l’une des intuitions justes du “pari Médiapart” (avec le pari d’un contenu éditorial fort et original face à la “perte sèche de créativité et de liberté de ton” ou à la “normalisation” redoutées).
“La seconde nouveauté est l’investissement total de David Dufresne sur le chantier audiovisuel afin de faire en sorte que Mediapart produise des vidéos de qualité” nous dit Edwy. Sur ce point coûteux et délicat, je suis plus partagé. La production de contenu audiovisuel nécessite un investissement que Médiapart ne s’apprête pas à réaliser, de ce que j’en sais. Médiapart avait peu d’ambition budgétisée en matière de vidéo, c’est un point qui pourrait évoluer. Sand doute ceci sera-t-il une clef essentielle ?
Médiapart annonce son festival, des partenariats notamment avec Vu sur le photo-reportage pour monétiser ses contenus.Ces choix semblent judicieux. Seront-ils suffisants ? Quel peut être la pérennité d’une entreprise de ce type (qui vise en équilibre en 2013) ? Si les réponses tarderont à faire jour, les condamnations hâtives du pari d’Edwy semblent mises à mal par sa résistance à sa faible croissance. La part des abonnements longue durée croit et le rythme des adhésions semble se stabiliser.
A titre personnel j’ai fini par m’y abonner (je fais parti des 2000
) et confesse trouver du plaisir à la lecture de ces articles trop longs et mal mis en page. Et puis un site web conçu sous Drupal ne peut pas être foncièrement mauvais
En décembre dernier* j’écrivais “saisiront-ils que leur réussite dépend des liens (qu’ils) sauront tisser avec les autres acteurs du web francophones, au moins autant que dans leur audace journalistique ?” sans m’imaginer que Médiapart mettrait six mois à le réaliser. Ce qui était selon moi un péché originel pourrait être corrigé, par “sérendipité”. Et si Médiapart ne devenait non pas gratuit mais plus ouvert ?
En cela, Edwy aurait raison.