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Billet de blog 1 février 2025

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Sur les chrétiens d'Orient

Le problème des chrétiens d'Orient ne semble pas, à première vue, aussi dramatique et ne mobilise pas autant d'attention que la situation des millions de réfugiés dans un monde manifestement peu disposé à les accueillir. Pourtant, il pourrait signifier un changement de civilisation. Retour historique et perspectives d'avenir.

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Le problème des chrétiens d'Orient ne semble pas, à première vue, aussi dramatique et ne mobilise pas autant d'attention que la situation des millions de réfugiés dans un monde manifestement peu disposé à les accueillir. Pourtant, il pourrait signifier un changement de civilisation.

C'est lors du synode tenu à Rome en octobre 2014 par 165 évêques que l'Église a détourné son attention de l'avortement, de la masturbation, des femmes et leurs devoirs conjugaux et autres et de la sexualité des adolescents, pour s'intéresser au problème des chrétiens d'Orient. Un peu plus tôt, Paul VI avait déjà prophétisé que « les Lieux Saints de l'Orient seraient transformés en musées ».

Le christianisme trouve en Orient sa place naturelle, sa présence bimillénaire étant antérieure à l'islam. Une douzaine d'églises différentes sont reconnues, Coptes, Grecs orthodoxes, Melkites, présentes dans plusieurs pays, Maronites, Chaldéens en Irak, Arméniens, Latins en Palestine et en Jordanie - un symbole de tolérance et de liberté - dirigées par 11 patriarches, dont quatre ont une place prépondérante : l'Église grecque orthodoxe de Constantinople, l'Église copte d'Alexandrie, l'Église grecque d’Antioche, les Églises syrienne et jacobite, et bien sûr, l'Église catholique de Rome. 

Au cours des cent dernières années, la proportion de chrétiens dans la région n'a cessé de diminuer : au total, ils ne représenteraient plus aujourd'hui qu'entre 3 et 6 % des populations locales, au lieu de près de 20 % au début du XXème siècle. Environ 13 millions de chrétiens vivent dans les pays arabes du Moyen-Orient, en Turquie et en Iran.

L'Égypte a le triste privilège d'être le précurseur de la persécution. Les coptes sont depuis longtemps la cible des Frères musulmans, précurseurs de tous les islamistes et talibans du monde, dont les exactions, notamment en Haute-Égypte, contraignent les coptes à l'exil. Au cours des dix dernières années, 1,5 million de coptes auraient émigré, principalement vers les Etats-Unis et le Canada. L'évêque copte du Caire, Mgr Youhanna Golta, décrit une Égypte où les extrémistes gagnent du terrain dans le secteur le plus sensible de la vie publique : les écoles, les universités et les médias, avec 60% de programmes religieux à la télévision. 

Dans la ville d'Alep, haut lieu historique du christianisme aujourd'hui presque détruite, la diaspora de la communauté chrétienne passa en 50 ans , de  50 % à 5 % de la population selon les statistiques de 2007, bien avant la tragédie et les crimes contre l'humanité de la guerre récente.

Récemment en Syrie, la guerre tuait tout le monde, mais la communauté chrétienne était de loin la plus touchée. Quelque 450 000 personnes ont dû quitter leur foyer pour échapper à la mort, à l'enlèvement d'enfants et de femmes, ou à la conversion forcée à l'islam. Ce sont les victimes de Daesh, mais aussi de toutes les bandes armées islamistes. La particularité des chrétiens de Syrie est qu'ils ont choisi de ne pas être armés, et sont soupçonnés d'avoir préféré l'État de Bachar el-Assad, où régnait la liberté de religion et de culte, et où les femmes jouissaient du statut le plus évolué de la région.

La population chrétienne, présente en Mésopotamie depuis 2000 ans et estimée à 1,25 million en 1987, et a été réduite d'un tiers en Irak à cause du conflit Iran-Irak. Mais le désastre des deux guerres du Golfe et la présence américaine dans le pays n'ont fait qu'accroître le harcèlement des chrétiens, soupçonnés d'être plus pro-occidentaux, et qui ne représentent plus que 3% de la population , contre 6% des populations locales au début du XXème siècle. Ils étaient environ 500 000 avant la prise de Mossoul par les islamistes.

Aujourd'hui, tous partent malgré les innombrables risques du voyage, y compris celui de mourir en mer. Les cinq attentats de l'État islamique à Bagdad et à Mossoul sont vus comme un ultime avertissement pour les chrétiens, et leur disparition totale semble programmée sur la terre même où ils vivent depuis l'aube du christianisme.

C'est l'avis de la Coordination des chrétiens en danger d'Orient (CHREDO), qui se montre pessimiste quant à leur survie en Irak. Ces chrétiens se sentent comme des étrangers dans leur propre patrie, et les communautés perdent en particulier leurs jeunes qui sont censés être l’avenir. « Leur disparition risque de faire mentir les tenants du choc des civilisations, cristallisé dans cette pseudo-fracture entre Orient et Occident », ont écrit Nadia Hamour et Mohamed Abdi dans Le Monde
    
En Palestine aussi, la situation s'est rapidement dégradée : l'épouse de Yasser Arafat était chrétienne, mais en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza, ses coreligionnaires ne sont plus qu'environ 50.000. La population de Bethléem, qui a représenté pendant des siècles 80 % de la population chrétienne totale, n'est plus que de 30 %.

Toutefois, le maire chrétien de Bethléem a été élu avec le soutien du Hamas et les chrétiens sont représentés à la tête de l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas. Le patriarche de Jérusalem, Mgr Michel Sabbah, déclare : « Nous ne sommes pas des chrétiens face à des musulmans, mais des chrétiens et des musulmans ensemble face à l'islamisme extrémiste ».

Il n'est pas trop tard pour reconnaître que depuis les origines du christianisme dans ces pays coincés entre Orient et Occident, dont la culture est aussi grecque qu'arabe et une religion ou une croyance les relie à l'Occident, « les chrétiens ont été les catalyseurs de la modernité arabe », rappelle l'historien Henry Laurens. « A l'avant-garde de la sécularisation, ils auraient été, ont été les premiers à envisager l'intégration politique de toutes les minorités religieuses dans un même mouvement de revendications nationales, de lutte anticolonialiste et d'émancipation. » 

Leur propre patrie et les communautés perdent en particulier leurs jeunes qui sont censés être l’avenir. « Leur disparition risque de faire mentir les tenants du choc des civilisations, cristallisé dans cette pseudo-fracture entre Orient et Occident », ont écrit Nadia Hamour et Mohamed Abdi dans Le Monde. 

Parmi les intellectuels arabes chrétiens, de Ibn Khaldoun (1200) à ceux qui ont récemment contribué à la renaissance du monde arabe, on trouve des personnalités marquantes comme Edward Saïd, Khalil Gibran, l'ancien secrétaire général de l'ONU Boutros Boutros-Ghali, l'immense chanteuse Fayruz et une pléiade de philosophes, dont Abdelwahab Meddeb, récemment décédé. L'histoire de la presse, des arts graphiques et de l'édition, depuis la première imprimerie arabe en Orient jusqu'au lancement de quelques-uns des grands journaux contemporains, n'existerait pas sans eux.

Pourtant, écrit René Guitton, grand connaisseur des grandes religions monothéistes, « certains observateurs prédisent que la Terre Sainte sera entièrement vidée de ses chrétiens au cours du prochain siècle ».

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