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Billet de blog 7 octobre 2024

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Femmes et société

Lorsqu'il s'agit de réserver la place qui revient aux femmes dans la société, il nous appartient de dire quelles réponses, quelles valeurs ajoutées nous pourrions apporter aux problèmes posés par une société en mutation ; quel projet de société pourrait être le nôtre dans le village planétaire, la « maison commune » qu'est le monde d'aujourd'hui. Voici un ensemble de pistes pour une une société marquée par la possibilité que chacun a de choisir.

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Les habitants de la vieille ville de Tyr affirmaient en 874 avant JC que puisque les femmes tendent à protéger, préserver, perpétuer, partager et unir, tandis que les hommes conquièrent, inventent, défendent et dispersent, le mieux étant que Didon et Pygmalion, sœur et frère, se succèdent au pouvoir en alternance tous les deux ans. Bien sûr, Pygmalion conquit le pouvoir par les armes et Didon s'exila où elle eu la consolation éphémère de rencontrer Enée en fuite après la chute de Troie décimée par la Grèce.

Lorsqu'il s'agit de réserver la place qui revient aux femmes dans la société, il nous appartient de dire quelles réponses, quelles valeurs ajoutées nous pourrions apporter aux problèmes posés par une société en mutation; quel projet de société pourrait être le nôtre dans le village planétaire, la « maison commune » qu'est le monde d'aujourd'hui. Pour ce faire, nous pouvons nous poser la triple question de Kant, la même que se posaient les socialistes du siècle dernier : « Que peut-on savoir ? Que faut-il faire ? Que peut-on espérer? »

Il est indéniable que nous sortons tout juste d’une stagnation d’idées. On a bradé au bazar des idéologies depuis la chute du mur. Cependant, lorsque, pour y remédier, nous parlons d’adaptation aux nouvelles réalités, nous ne pouvons oublier qu’il s’agit d’adapter la réalité aux besoins de l’humanité, et non l’inverse comme le fait jusqu’à présent le capitalisme international.

1-Que pouvons-nous savoir ? Partons des faits. D’abord le Nord.

Le monde a changé, nos sociétés ont changé. Si les conquêtes sont multiples, les coups de fouet sont nombreux. Tout d’abord, l’emploi et son corollaire, le chômage. Les statistiques du chômage en Europe conduisent à une certitude : la tendance économique actuelle conduit à une augmentation du chômage. Toutes les innovations technologiques modernes entraînent la destruction d’emplois comme les nuages l’orage. En 2024, deux millions de travailleurs supplémentaires devraient être à la recherche d'un emploi, ce qui ferait passer le taux de chômage mondial de 5,1 % en 2023 à 5,2 %. Le chômage ne touche plus seulement les moins préparés mais aussi les cadres, les techniciens, les agriculteurs, etc.

Loin de représenter la fameuse armée de réserve du patronat, ceux qui réclament du travail sont tout simplement laissés pour compte et marginalisés. Hormis l'aide sociale, les seuls remèdes en vue sont, pour les jeunes, la prolongation des études, et pour les personnes âgées, choisir entre avancer la retraite ou allonger la durée du travail. Un autre remède très populaire consiste à bloquer les frontières en laissant les émigrés y mourir, ou les expulser, même ceux dont les enfants sont autant citoyens du pays où ils sont souvent nés que n'importe qui d'autre.
La croissance ne sera plus jamais ce qu’elle a été. Elle consiste à fabriquer des surplus manufacturiers – attention, la société de consommation ne fait plus rêver ! – à l’aide d’une plus grande automatisation, multipliant ainsi le nombre d’exclus. Outre les coûts considérables qui pèsent sur la société dans son ensemble, cette injustice humaine flagrante et ce déni de dignité répugnent aux consciences les plus endurcies. Est-ce ce qui est prévu ? La grande majorité des emplois consistent aujourd’hui en des spécialisations requises par les machines. Si le système éducatif est mis au service de la spécialisation économique, toute une culture, qui permet de juger de manière critique ce qui vaut et ce qui ne vaut pas pour l’homme, se pliera à la loi de l’efficacité. Cependant, le socialisme ne doit pas être un système économique différent, mais plutôt la volonté et la capacité de définir démocratiquement des priorités.

Au Sud, comment parler de subventions ou de couverture sociale à un mendiant de Bombay, à une petite prostituée-chamelle du Mexique, aux enfants de Rio, à une mère Somalienne ou du nord-est brésilien ? Quant aux récents accords de coopération entre certains pays développés et pays dits du Sud, ils portent plus souvent sur l’utilisation de vastes réserves de main d’œuvre bon marché que sur une répartition sociale des richesses. Sans parler du pillage organisé et croissant des richesses du sous-sol africain par exemple.

2-Que peut-on faire ? N’avons-nous pas des possibilités techniques, scientifiques et économiques infiniment supérieures, telles que l’humanité n’en a jamais eu à sa portée ? Au Nord, malgré ce qui a été dit sur la croissance et les excédents, il n’est pas absurde de penser que nous pourrions lutter contre le chômage en créant de nouveaux emplois. Mais lesquels ? Commencer par les emplois traditionnels : concierges, bibliothécaires, conducteurs de bus, vendeurs de journaux, de billets de théâtre ou de concert ; développer le travail social, l’aide aux personnes âgées, aux toxicomanes, l’éducation des populations analphabètes ou déplacées, les cours de recyclage, la garde d’enfants, l’aide aux handicapés, et tous ces “métiers relationnels” (Michel Rocard) d’utilité collective. Diversifier et revaloriser au maximum les métiers atypiques.

Reconnaissons les activités en marge du marché du travail (OCDE), comme le travail domestique et les tâches bénévoles ouvertes à tous et pas seulement aux femmes. Établissons un nouvel équilibre entre travail rémunéré et activité productive non rémunérée (A. Gorz). Pour restaurer le tissu social des villes, créer du lien, lutter par le bas contre la violence et la drogue, la marginalisation des jeunes et des vieux ou le racisme, et non d’en haut, par la répression.

Ce sont les femmes, avec leur triple emploi quotidien, qui peuvent proposer une nouvelle approche. Lorsqu’une femme dirige, il est reconnu que le travail en équipe est favorisé, avec une réelle répartition des compétences et des connaissances (OCDE). Répartition du travail, flexibilité de l’emploi, travail à temps partiel, horaires réduits, horaires à la carte; ces solutions n’ont jamais été appliquées à grande échelle, et bien qu’ambiguës lorsqu’elles sont proposées aux seules femmes, elles sont aujourd’hui la panacée de tous les discours sur l’emploi. Pourquoi ne pas proposer aujourd'hui, comme hypothèse de travail, l'année de 1 000 heures au lieu de 1 500? (André Gorz). La perspective du temps libre n’est pas une calamité, mais plutôt un extraordinaire progrès pour l’humanité.

Réduire le temps de travail sans perte de revenus est le grand défi que posent certains théoriciens socialistes allemands (Peter Glotz, Ulrich Beck). La solution au chômage passe-t-elle par le développement d’un « tiers-secteur » (Jacques Delors), comme en Scandinavie, où les collectivités locales soutiennent les activités sans passer par le salariat ou la professionnalisation ?

Réduire le temps de travail, c’est aussi mettre fin à la fragmentation de la vie en tranches d’âge : un temps pour apprendre, un temps pour travailler, un temps pour se reposer. Le monde est plein de jeunes qui ne veulent plus étudier, mais plutôt travailler ; d’adultes qui refusent de tant travailler au détriment de leur famille et de leur vie affective, et de personnes âgées qui, loin d’être incapacitées, peuvent apporter leur savoir à l’humanité. Peut être aussi s’habituer à penser en termes de distribution, un domaine dans lequel tout est à inventer. Répartition de l’emploi et des revenus dans les pays développés. Partage des moyens, mais aussi des connaissances avec le monde défavorisé. Partager la planète avec les générations futures.

Dans le Sud, les informations fournies par la Croix-Rouge et l’OMS démontrent que les petites organisations bénévoles multitâches sont plus efficaces que les grandes opérations médiatiques ou les déluges coûteux de marchandises bon marché qui souvent n’arrivent pas à destination.
Là aussi, les femmes. Celles-ci produisent, transforment et commercialisent 80 % des aliments dans les pays en développement et gèrent 70 % des petites entreprises existantes. Un tiers des cellules familiales ont une femme comme chef de famille. Pour leurs loisirs, elles élèvent des enfants, s'occupent des malades, des personnes âgées et des handicapés, éloignent les adolescents de la drogue, hébergent les sans-abri et les orphelins du Sida. Or, tous les projets internationaux partent du principe que les femmes ne travaillent pas et rien n’est prévu pour les éduquer.

3. À quoi s’attendre ?

Le XXIème siècle est le siècle d’une renaissance conceptuelle. Presque toutes les connaissances sur le temps, la matière, la biologie ont été bouleversées. L’humanité dispose de possibilités d’action infiniment plus grandes. En 2018 la population mondiale était estimée selon l’ONU et la Banque Mondiale de 7 570 457 268 d'êtres humains sur la planète. En 2050, nos petits-enfants seront au nombre de 12 milliards. Pouvons-nous continuer à penser sérieusement à la fermeture de nos frontières et à l’espace géographique comme une mosaïque de nations créées sur des bases ethniques dont la folie est visible en Europe centrale ? Ne pourrait-on pas commencer à penser un espace a-territorial (Giorgio Agamben), dans lequel « le peuple » mélangé, enchevêtré, multiple – si c'est précisément en cela qu’a toujours consisté sa richesse – retrouverait son sens politique ?

À l’heure où les économistes les plus sérieux penchent vers la notion de salaire humain, de revenu monétaire d’existence, pour le répartir non seulement au sein des États opulents, mais à l’échelle planétaire, ne pourrait-on pas commencer à réfléchir à un renversement de la pyramide ? Imaginer une société structurée en réseaux plutôt que hiérarchique ? Reconnaître que la chose la plus précieuse que possède l’individu est ce que les autres lui ont apporté ? Y compris l'irritant voisin dont les 12 enfants occupent en permanence les escaliers de l’immeuble... Voulions-nous vraiment une société opulente fondée sur la compétitivité et la croissance, cimentée par l’égoïsme, le racisme et la destruction ?

La société que nous voulons est celle qui permet le développement de l’individu-sujet, libre de choisir le but de ses entreprises (A. Gorz). Tant que les citoyens n’auront d’autre choix que moins de marché et plus d’État, ou moins d’État et plus de marché, nous nous sentirons toujours dépossédés de nos droits légitimes et de nos actions. Une société active est une société marquée par la possibilité que chacun a de choisir, par la diversité et la solidarité. Ça ou la barbarie.

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