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Billet de blog 28 mai 2024

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Identité

La patrie terrestre n’est pas une abstraction : l’humanité en est issue. Peut-être devrions-nous remettre en question une fois pour toutes le principe fondamental de l’État-nation-territoire.

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Dans toute son œuvre, le grec Homère traite les Grecs et les Troyens – les Orientaux – de la même manière. En fait, le  troyen Hector est présenté comme plus sympathique que le grec Achille. Et le vieux Priam, roi de Troie, l’ennemi, est également respecté. De même, dans la tragédie d’Eschyle, le chœur pleure la mort de ses ennemis perses.

L’étranger n’a pas toujours été méprisé, et le mot « barbare » ne signifiait rien d’autre qu’étranger pour les Grecs, les Romains, et pour la première chrétienté. Comment ceux qui venaient d’ailleurs, d’un autre pays, ont ils été accueillis et identifiés ?

Jusqu'à présent, deux règles ont été appliquées pour l'intégration face à l'immigration : la filiation selon la loi du sol, jus solis – selon le lieu de naissance – (comme en France), par opposition à la loi du sang, jus sanguinis, comme seul critère de nationalité, comme c'est le cas en Allemagne et au Royaume-Uni. L’application de ce deuxième critère aboutit souvent à un communautarisme – fondé sur l’homogénéité ethnique, culturelle ou religieuse – qui ne facilite pas mais bien plutôt empêche généralement l’intégration et la mixité sociale.

Face au problème de se définir par rapport à ceux qui sont « différents », on voit au XVIIIe siècle apparaître la Culture comme un « signe d'identité » qui serait comme une « essence » attachée à un peuple. Au XIXe siècle, le concept de culture s’élargit et inclut le « comportement » des hommes d’une même société. Il s’ensuit que cette identité peut perdre sa caractéristique originelle et se transformer au contact d’autres. Et aussi que les sociétés peuvent perdre leur culture d'origine et s'approprier une partie d'une autre culture. L’identité culturelle apparaît alors comme une notion mouvante, susceptible d’évoluer au fil du temps. Au XXème siècle,  pour les sociologues Émile Durkheim et Marcel Mauss la culture ne préexiste pas aux individus, mais ce sont plutôt les individus au sein des groupes qui créent un « encastrement social ».

Par ailleurs, en prenant le problème par l’autre bout de la lorgnette, la question de l'identité personnelle est aujourd'hui l'une des plus vives et des plus ouvertes de la philosophie contemporaine. « Mondialisation » ou « repli identitaire » ? Une évidence s'impose d'emblée : les deux sont liés, dû en partie à la perversité d’une globalisation exacerbée qui, sous le prétexte de concerner tout le monde, crée des exclusions économiques de plus en plus profondes à l’échelle de la planète comme à l’échelle d’un pays. Mais en arriver à considérer le repli sur une communauté nationale, religieuse ou culturelle comme seule réponse valable, est contre-productif et dangereux.

Aujourd'hui, l'exclusion touche de nombreuses catégories de citoyens : les jeunes, les personnes âgées, les handicapés physiques et bien sûr les personnes déplacées : plus de 140 millions de personnes vivent dans un pays autre que leur pays d'origine, dont 114 millions  déracinées par la guerre, la persécution, la violence et les violations des droits humains.

Nos sociétés atomisées et peu solidaires ont du mal à résister à la spirale égoïsme-opposition-intolérance-xénophobie-rejet de l’autre-racisme. D’autant plus lorsque cet autre, ce différent, ce nouveau venu, ce déraciné, est présenté comme un « non-citoyen », non seulement parce qu’il serait différent, mais à cause de son manque. C'est celui qui n'a pas, celui qui n'a plus, celui qui n'est plus... Loin de voir en lui le porteur d'une nouvelle richesse pour la communauté, d’un savoir différent, d’une autre culture enrichissante, tout nous pousse à voir en lui le défavorisé, celui qui demande, ce qui, par ailleurs, est normal à l’arrivée, étant donné l'origine dramatique de la plupart des déplacements de personnes dans le monde : misère, guerre, haine raciale, haine religieuse, oppression.

Les différences culturelles sont souvent difficiles à comprendre et peuvent apparaître comme des menaces. Toujours à la recherche de ce qui peut aider à identifier définitivement un groupe d'un autre, certains s'appuient encore sur le concept de « race » – même si ce concept ne s'applique pas aux humains et que les humains sont une seule et unique race – et se réfugient parfois dans l'idée que leur prétendue race est supérieure aux autres. Pour Luigi Luca Cavalli-Sforza, généticien et biologiste italien, les quelques milliers d'années qu'a duré l'humanité pour évoluer génétiquement ne peuvent pas avoir permis l'évolution de races différentes. L’explication par la race et l’attitude raciste sont « le fruit amer de l’ignorance et de la peur qui mettra du temps à disparaître ». Au-delà de petites différences,  ce serait la culture qui pourrait peut-être expliquer les innovations et différences.

Une solution à l’implantation de vagues de migrants, réfugiés politiques, économiques ou autres, et pour palier au rejet dont ils sont souvent victimes, a  été d’appliquer les deux règles de l’intégration : La filiation du  droit du sol (jus solis)  qui détermine la nationalité d’après le lieu de naissance instaurerait des sociétés fondées sur « l’intégration » comme en France et dans certains pays. A l’opposé,  le droit du sang (jus sanguinis)  considère la filiation sanguin comme seul critère de nationalité,  comme en Allemagne et au Royaume uni, au risque de créer le communautarisme. Les communautés se regroupent alors dans des quartiers en fonction de leur religion, de leur origine, de leurs traditions, de leurs normes ou leurs valeurs. Cette recherche d’homogénéité ethnique  crée des barrières et empêche généralement, la mixité sociale.

« Ne pourrait-on pas penser à une articulation de toutes les patries, familiales, régionales, nationales, continentales pour les intégrer dans la grande patrie terrestre ? » propose Edgar Morin. La patrie terrestre n’est pas une abstraction : l’humanité en est issue. Peut-être devons-nous désormais remettre en question le principe fondamental de l'État-nation-territoire auquel on s'accroche jusqu'à maintenant ? Un espace a-territorial, dans lequel tous les résidents, citoyens et non-citoyens, seraient en situation d'exode ou de refuge. L’espace indiquerait ainsi une « séparation irréductible entre la naissance et la nation ».

Promouvoir culturellement le nomade face au sédentaire, le droit à l'ingérence face au repli sur soi, la tolérance face à l'identité, l'appartenance multiple face à l'exclusion.   

En définitive, qu’est ce qui nous sépare de celui qui vient « chez nous » ? Est-ce l’idée que nous avons de nous-même ? Celle que nous avons des autres ? Encore faudrait-il savoir qui nous sommes.

En considérant le problème par le petit bout de la lorgnette et pour prendre en compte les turbulences et changements rapides et parfois dramatiques de nos sociétés, la question de l'identité personnelle est aujourd'hui mise au premier plan et s’avère l'une des plus vives et des plus ouvertes de la philosophie contemporaine. Touchant la biologie, la psychologie, et aussi la métaphysique, c’est une vraie quête d’authenticité.

Mais qu’est ce que l’identité personnelle dans un temps de mondialisation économique qui, sous le prétexte de concerner tout le monde, crée plus d’exclusions économiques que jamais ? Sans oublier les trois fragilisations relativement récentes : la famille, l’identité sexuelle, la profession quand le travail est en crise, ou les identités symboliques, politiques, religieuses. L'identité biologique peut-elle être une réponse à cette crise ? La génétique et la biologie pourraient apparaître aujourd’hui, comme une sorte de socle stable de l'identité, c'est-à-dire l'idée qu'au moins le patrimoine génétique, le code génétique, la biologie individualisée permettraient d'avoir une certaine stabilité dans la définition de soi.

« Nous ne pouvons plus nous définir par nos communautés d’appartenance, elles sont floues ; ni par une identité de races : elles n’existent pas ; ni par des identités de cultures : elles sont poreuses ; ni par des identités sociales : elles sont devenues insuffisantes, et les solidarités de classe se sont écroulées à l’ère des revendications éclatées ». F Wolff, philosophe.

L’extrême droite, militante ou intellectuelle, religieuse ou athée, électorale ou radicale, aristocratique ou populiste s’appuie sur un terrain commun, celui des inégalités naturelles et a fait de  l’identité le cheval de Troie de leurs assauts contre le cœur de la promesse démocratique.

Avant l'ouverture de nouveaux camps de réfugiés en Europe et aux États-Unis –, peut-être faudrait-il se demander que faire pour que l'Algérien de Paris, le Bosniaque de Stockholm, le Nigérian de l’Ampurdan, l'Asiatique de Californie, le Turc de Berlin, ou le gitan d'Europe, non seulement vivent humainement dans leur pays d’arrivée, mais puissent y apporter et développer leurs capacités et participer à la vie commune pour le plus grand bénéfice de tous.

De vrais débats sur le droit de vote des étrangers, la citoyenneté ou le droit d'asile pourraient être une des clés de l'intégration. Plutôt que l’État-nation, ne pourrait-on pas envisager plutôt  « Une articulation de toutes les patries, familiales, régionales, nationales, continentales à intégrer ? Les amener dans la grande patrie terrestre ? » (Edgar Morin).

La patrie terrestre n’est pas une abstraction : l’humanité en est issue. Peut-être devrions-nous remettre en question une fois pour toutes le principe fondamental de l’État-nation-territoire. La « Planète nomade » à laquelle Jacques Attali donne une base économique, se rapproche justement du concept d'extraterritorialité ou d'a-territorialité que le philosophe Giorgio Agamben oppose à  cette « Europe des nations » à laquelle nous nous accrochons jusqu'à présent. Un espace a-territorial, dans lequel tous les résidents, citoyens et non-citoyens, sont en situation d'exode ou de refuge. L’espace indiquerait ainsi une « séparation irréductible entre la naissance et la nation ».

Promouvoir culturellement le nomade contre le sédentaire, le droit à l'ingérence contre le repli sur soi, la tolérance contre l'identité, la pluri-appartenance contre l'exclusion… Un long chemin à parcourir.

« Soyez, dans ce monde d'en bas, comme un étranger ou comme un voyageur qui chemine » (Muhammad).

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