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Billet de blog 2 sept. 2012

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Achille, France, 1954

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En décembre 1954, voici ce qu'Achille put lire, dans un digest d'articles internationaux.

 Retour triomphal du Prix Nobel de littérature à Santiago du Chili.

Gabriel Mistral se verra remettre le Prix National de Littérature, enfin!

 Temuco, le 20 novembre 1954

De notre correspondant de la vallée d'Elqui

 Qui n'a jamais vu une jeune mariée en robe d'apparat dont le futur époux ne viendra pas attendre encore, les bras ballants son bouquet à la main en haut des marches d'une église, ne peut se faire une idée de la gare de Temuco en cette matinée de novembre.

Depuis quelques jours, le village était en effervescence dans l'attente de la venue de Gabriela Mistral, consul du Chili en Europe, lauréate du Prix Nobel de Littérature en 1945. Première poétesse d'Amérique du Sud à se voir décerner ce prix, elle avait été directrice du lycée de Temuco dans les années 20 et notre ville s'était mise en frais pour l'accueillir avec tous les honneurs lors de la tournée triomphale prévu par le Chili à sa grande dame enfin reconnaissant. Banderolles "Bienvenue à Gabriela Mistral", "Honneur à notre poétesse internationale", fleurs, chorale de l'école, discours, tout était prêt pour accueillir l'ambassadrice de notre vallée d'Elqui. Quelle ne fut pas la stupeur de la petite foule amassée devant le quai lorsqu'elle vit passer le train sans s'arrêter! Les convives se sont repliés dans les cafés sans demander leur reste, en commentant l'affront.

Les organisateurs de la tournée, que nous avons pu interroger à Monte Grande ont fait savoir que Gabriela Mistral a bel et bien refusé de faire escale dans notre petite ville. "Je sais trop ce que l'on a dit de moi, j'ai trop porté le poids des médisances quand j'avais besoin de soutien au lieu de malveillance" aurait-elle déclaré en changeant l'itinéraire au dernier moment. Les faits évoqués remontent à 1926. A l'époque, Petronila Godoy Alcayaga, mère de la poétesse, avait elle-même fait savoir que sa fille avait eu un enfant. Le bébé était né à Marseille, vraisemblablement, en secret, car Gabriela n'était pas mariée. Décédée en 1929, la grand-mère n'a jamais connu son petit fils, prénommé Juan et surnommé Yin-Yin. Il mourut en effet dans de mystérieuses circonstances à Rio de Janeiro, il n'avait pas dix-huit ans. On dit que Gabriel Mistral en est restée inconsolable, encore aujourd'hui.

Le train fera-t-il une halte à Vicuna, ville de naissance de la poétesse, on peut raisonnablement en douter. C'est en effet de l'école de Vicuna qu'à peine âgée de neuf ans, elle a été tout bonnement chassée, accusée, à tort selon des témoignages recueillis depuis, d'avoir volé des cahiers, par sa propre marraine, alors directrice de l'école.

Un vrai cauchemar pour les organisateurs... Monte Grande est pour l'instant la seule ville de la vallée qui peut s'enorgueillir de recevoir, de façon certaine, Gabriela Mistral, devenue la grande dame du Chili que l'on sait.

 Achille comprit qu'il n'était pas le fils abandonné par Gabriela Mistral, ce n'était pas lui.

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