Une estrade chic éclairée fluo et des barres de pole dance, des culs de filles cadrés serré, qui se trémoussent et qui ondulent à n’en plus pouvoir, musique techno : des corps pour décor. C’est un environnement banal et fréquent, dans de nombreux films. Je me suis toujours demandé : comment elles font pour jouer ça, celles qui sont filmées ? qui sont-elles ? elles aiment faire ça ? et si elles n’aiment pas, pourquoi elles le font ? Je n’ai pas de réponse.
Une qui sort de ce lot ou d’un autre lot gagne le droit d’être actrice connue. Elle aura un rôle, un vrai. On ne manquera pas pour autant de la voir nue mais dans des scènes mieux éclairées car il ne fait aucun doute qu’elle est belle.
La beauté, la beauté, la beauté, les belles femmes, c’est le bain dans lequel nous sommes, en gros. C’est sans doute qu’on aime, qu’on en veut, qu’on en redemande, hommes, femmes, on va voir des films pour ça, voir des gens beaux, plus beaux que nous. Pour reprendre la phrase de Truffaut : aller au cinéma, c’est user de notre droit à voir de belles femmes, leur visage beaucoup, leur cul si c’est possible, à condition qu’elles l’aient aussi joli que le nez. Les hommes sont vraisemblablement touchés, mais pour le moment, on ne les entend pas se plaindre, les emprisés… c’est déjà si difficile pour les femmes, avec toute cette honte, qu’il se peut que les hommes soient moins enclins à se mettre à table.
Aujourd’hui, ce n’est qu’a posteriori que la plainte monte. Existe-t-il, à cette heure, une adolescente sous emprise et qui se tait, une petite jolie craquante photogénique sous la coupe d’un plus âgé qui lui promet monts et merveilles ? Bien sûr que oui. Intemporel. Le loup ne mange pas le petit chaperon rouge, il la prostitue. Elle était prévenue. Nul n’empêche le loup. Lui, il est considéré comme un phénomène météorologique, on n’y peut rien. C’est peut-être là que siègerait une possibilité de civilisation : obtenir du loup qu’il fasse amende honorable et qu’on ne l’y reprenne plus.
A entendre les actrices revoir leur vie, à entendre les accusations qu’elles sont en mesure de porter quarante années plus tard, il est difficile de ne pas soi-même, se poser des questions sur ce que soi-même a vécu. Quelle vie peut ne pas se lire à l’aune des regrets ? des injures subies ? des soumissions ? des compromissions ? Qui a eu une enfance sans souffrance ? Quelle vie pourrait ne pas se transformer en plainte ? et surtout, quelle histoire d’amour terminée (ou de couple, si l’on veut) ne laisse aucune amertume ? Ce que ces belles femmes ont subi peut bien être regardé comme un trop plein de brioche, sans les accuser de quoi que ce soit. Sauf que Judith Godrèche le dit : elle était la « préférée » et ça, ça compte. Hélas, le pouvoir des femmes n’est la plupart du temps qu’un pouvoir sur les autres femmes. Voilà qui fait beaucoup à assumer.
De la même façon que j’ai rêvé d’un monde où seuls ceux qui y trouvent leur compte seraient soldats (« tu veux te battre, tu veux tuer, vas-y, et hop, on vous donne un espace et battez-vous puisque ça vous plaît »), de la même façon, on peut imaginer un monde où seuls ceux qui y trouvent leur compte s’exhiberaient nus et se contorsionnant. Il faudrait des sas, j’imagine, des zones de repentir… on verrait s’ils sont si nombreux que ça.