Quand le temps aura passé…
Quand le temps aura passé, que tu ne seras plus qu’un souvenir morose, triste et lointain dans ma vie, une ombre vaine à demi effacée, quand ma solitude aura enfin été un chemin choisi, quand mon amour pour toi aura été étouffé sous la cendre des jours, j’irai, les yeux fermés, écouter l’immémoriale berceuse de la mer dont en l’honneur de la lune, depuis l’aube du monde, le baiser d’écume vient mollement s’échouer en éventail sur le sable des marées basses puis disparaît, ou se jette sur les galets gris rageusement remués des marées hautes et s’en retire avec des borborygmes bruyants.
Les goélands criards m’évoqueront les époques enfuies, la furie des vents d’anciens hivers, provisoirement remisés aux enfers, le naufrage par gros temps de tant d’embarcations, corps et biens, de si nombreux hommes de l’équipage, l’assaut manqué, en 1942, des preux soldats sitôt débarqués sur la plage sitôt mitraillés par l’ennemi. Les oiseaux de mer n’auront cure des éclats de rire de notre jeunesse joyeuse, de nos promenades enchantées, de nos horizons d’azur avant ton départ brutal, de ma détresse infinie, de ma désespérance.
Quand le temps aura passé, aurai-je envie de te revoir ? De revoir le vieillard sinistre qui m’a si longtemps trahie ? Le vieillard cynique qui m’a si longtemps menti ? L’homme au regard froid qui m’asséna de toute sa hauteur, les yeux dans les yeux, les mots les plus cruels, l’absolu parjure qui, sans pitié, s’est joué de mon âme et de ma vie ? Quand le temps aura passé, le cœur léger, je retrouverai assurément mon sourire, j’oublierai peut-être jusqu’à ta silhouette, et vouerai la noirceur de ton être aux poubelles de ma mémoire.
31 janvier 2023 Aimée Saint-Laurent © Chants des noces