Printemps de désolation
La bourrasque, la pluie, le froid, le ciel gris, le jour noir, l’avenir sans espoir.
A peine apparu, le printemps s’est enfui, abandonnant à leur sort et au vent du nord les jonquilles affolées, les fleurs blanches de l’amélanchier, les pétales roses de l’amandier, les buissons odorants de l’osmanthus, exilé de la lointaine Guilin au nom parfumé, sur la rivière Li où l’on ne pratique plus la pêche au cormoran que pour les touristes. Et les arbres n’en peuvent mais de se tordre de douleur et de désespoir sous les rafales.
Ils sont loin les jolis printemps de ma vie, ma gaieté d’amoureuse, la magie de ta présence aimée, abolis par les démons de ta démence, l’ombre de tes mensonges, de ta haute trahison, ta double vie. Ces printemps que j’aimais tant partager avec toi, l’arrivée des hirondelles, le tout premier appel du coucou, que nous nous annoncions comme miracle renouvelé. Tu les partageais aussi avec la harengère, princesse de la serpillère, sans foi ni loi, toujours aux abois, en quête de la proie idéalement dotée, qui t’a happé loin de moi. Tu as piétiné le printemps dans mon univers de malheur, piétiné mon amour et mon pardon. Tu as lacéré mon âme, déchiqueté ma vie, réduit mon cœur en cendres. Il ne me reste plus que les sombres prédictions de la Cassandre que j’ai toujours été.
Même le plus beau ciel ensoleillé me semble orageux et d’un bleu noir, et l’horizon densément opaque. Je survis provisoirement. Mais après t’avoir tant attendu en vain au long des années, je n’attends plus rien que la fin du chemin.
2-3 avril 2023 Aimée Saint-Laurent © Chants de guerrière