Passante
Lentement, inexorablement, s’amoncellent les sables du temps qui passe. Les trésors scellés dans nos mémoires, bientôt nous ne les visiterons plus. Lentement, inexorablement, s’effacent de l’horizon que nous croyions nôtre, nos souvenirs radieux, promesses échangées çà et là, images d’un visage, timbre d’une voix, enchantement d’une présence. Les jours se muent, petit à petit, à notre insu, en siècles où nous ne serons plus. Inconnus hier, très aimés parfois, découverts dans l’éblouissement d’une improbable rencontre, certains dorment maintenant sous de lourdes pierres, d’autres ayant fait disperser à tous vents, parmi les pétales de nos fleurs, leurs cendres légères de passants, d’autres encore, lointains, ou juste de glace. Nos anciens compagnons, éparpillés aux quatre coins du monde, cultivent le silence et l’oubli. Leurs au-revoir, qu’ils savaient infidèles, étaient déjà des adieux.
Seuls subsistent les épines qu’ils ont plantées profondément dans nos cœurs, cette douleur, les larmes des jours de pluie, nos insomnies, l’ennui et l’hiver. Ils ont cerclé d’airain et de fer, au fond d’un cachot tragique, les arcs-en-ciel qu’ils avaient offerts. Le rêve était magique, nous voulions y croire. Leurs pensées sont mortes, et fermées toutes les portes par où nous pouvions atteindre la douceur de leur être. Nos chagrins leur demeurent à jamais indéchiffrables. Passante, portons-les donc en bandoulière, cheveux au vent, le regard tourné vers le grand large, un sourire sur les lèvres, quand paraîtra le beau navire espéré.
Puis jetons-nous à corps perdu dans la fraîcheur de l’aube qui vient, fût-elle leurre, soudain émue par l’inattendu de ce regard aimant, de ce mot, de ce geste. Laissons-nous bercer par la mélodie de qui rend tout à coup les heures plus riches, plus précieuses. Peu importe le nom de l’émoi. Nous ne le prendrons pas au lacs du vocabulaire, lui laissant le champ libre et l’aile vagabonde. Le cœur n’en bat pas moins vite, dont le dernier écueil est là pourtant, qui le brisera à la fin.
Au carrefour des années moroses, ayant essaimé en vain tant de bouquets de roses, je pris au hasard du destin. Mon chemin de passante me conduisit vers le dieu-soleil. Contre toute attente, la lumière menait aussi jusqu’à toi.
22 janvier 2012