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Nicole Péruisset-Fache

Professeure agrégée honoraire, Docteure de l'Université de Rouen, Qualifiée aux fonctions de maître de conférences, Chercheure en sciences humaines indépendante, poète à ses heures

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Billet de blog 8 juin 2023

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Sortie en mer

Nous attendions en silence sur le quai sombre et sinistre. A côté de nous, la vie filait sa quenouille de tous les jours, les gens allaient, venaient, dans un sens, dans l’autre, pressés, indifférents, curieux, moroses, rieurs. Du ciel, les goélands gouailleurs surveillaient les faits et gestes des hommes.

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Sortie en mer (à la mémoire de François)

Nous attendions en silence sur le quai sombre et sinistre. A côté de nous, la vie filait sa quenouille de tous les jours, les gens allaient, venaient, dans un sens, dans l’autre, pressés, indifférents, curieux, moroses, rieurs. Du ciel, les goélands gouailleurs surveillaient les faits et gestes des hommes. Dès que le commandant fut arrivé, nous fûmes conviés à nous engager sur la passerelle de coupée et à descendre sur le ponton où était accostée la vedette, puis à monter à bord.

Le vent soufflait en rafales violentes et glacées, et il avait été fort à craindre que la bourrasque pose problème en cette journée de janvier grise et froide. Longtemps, nous nous étions demandé si le bateau sortirait par ce gros temps pour une opération somme toute si vaine.

La vedette s’agitait à quai et les solides bras de marins qui nous accueillirent à notre descente de l’échelle de coupée nous semblèrent davantage témoigner de leur sollicitude à notre égard que de leur naturelle prise en charge de passagers maladroitement terrestres. Ils comprenaient que nous avions besoin de toute la chaleur humaine existante.

Ils nous invitèrent à nous installer confortablement à l’intérieur de la cabine, juste derrière le poste de pilotage. Nous avions tous plus ou moins envie au contraire de rester à l’extérieur, sur le pont. Nous avions besoin, nous le savions, de l’air du large et des embruns que les brutales claques des paquets de mer contre les parois de l’embarcation nous projetteraient au visage. Nous présagions que le grand vent nous prémunirait contre les éventuelles nausées que nous causeraient la plongée subite du petit navire dans les creux brutalement apparus sous sa coque, et notre propre descente dans l’abîme du temps que l’on n’arrête pas.

Les hommes d’équipage nous conseillèrent de ne pas nous éloigner de la cabine et de nous cramponner à tels endroits qu’ils nous indiquèrent. Deux jeunes femmes préférèrent prendre place à l’intérieur et s’assirent sur les banquettes, à peu de distance l’une de l’autre.

Une fois les passagers embarqués, la vedette déhala et vira de bord pour sortir du port. Les eaux du chenal, pourtant abrité, enflaient  et se creusaient en amples mouvements croisés qui ballottaient déjà, bien avant les jetées, notre minuscule navire.

A tribord, nous laissions peu à peu derrière nous les falaises grisâtres où des hommes avaient accroché le sémaphore civil et les maisonnettes du quartier des pêcheurs. A bâbord, la ville dont les étroites maisons à étages, tout en hauteur, serrées l’une contre l’autre comme pour mieux se garder des tempêtes, défilaient en titubant sous nos regards.

Les jetées apparurent. Une déchirure dans le ciel laissa passer les rayons du soleil qui ne s’était pas montré depuis plusieurs jours. La lumière réveilla brusquement les façades et le vert des flots monstrueux.

Bousculés par l’indomptable houle, les passagers restés debout sur le pont s’agrippaient aux barres d’appui à portée de main et, des deux pieds, tentaient de retrouver leur équilibre à chaque mouvement de roulis ou de tangage de la vedette. Quelques paroles peu audibles étaient échangées que le vent emportait dans la turbulence des éléments déchaînés.

 (à suivre)       Janvier 1995 Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs

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