CARPE DIEM (4e épisode)
4. Révélation
Après une nuit agitée, le sommeil plusieurs fois interrompu et brusquement remplacé par la tentative toujours vaine de retrouver les traits si nouveaux de l’absent, la dame se leva très vite, impatiente d’appeler ses servantes et de s’affairer à sa toilette afin de réparer les outrages de l’insomnie sur son visage, outrages qu’elle voyait démesurément enlaidissants, alors qu’ils n’étaient que passagers, et qu’un peu d’eau fraîche aspergée sur ses yeux effacerait en un instant.
Elle se retint, malgré la fatigue et la hâte de se voir ravissante, de morigéner les pauvres filles qui avaient perçu dès leur entrée dans la chambre de la maîtresse l’atmosphère électrique de ce début de journée. En quelques minutes, la lourde chevelure se trouva domestiquée et retenue avec grâce et naturel, et quelques touches de fard suffirent à rehausser le teint éclatant de la belle. Le regard anxieux qu'elle jeta au miroir qu’on lui présentait en dit long sur l’éternel doute qui la rongeait concernant le charme qu’on lui prêtait et qu’elle s’obstinait à ne pas reconnaître. Le miroir renvoyait pourtant l’image d’une femme d’environ quarante ans, dont le pouvoir de séduction devait inévitablement faire pâlir d’envie bien des conquérantes.
Lorsqu’elle atteignit le jardin, elle prit confusément conscience que des hommes s’y affairaient déjà autour des végétaux ; mais n’osant les dévisager trop longuement, elle ne s’aperçut pas tout de suite que celui qu’elle espérait y trouver manquait. Echangeant un salut avec le premier rencontré, elle s’enquit alors des raisons de l’absence de l’être qui l’intéressait. Un empêchement l’avait retenu pour au moins la journée. La vive douleur qu’elle ressentit à la réception de cette nouvelle lui révéla soudain l’ampleur des sentiments qui venaient de commencer à s’immiscer en son cœur comme à son insu, et qui avaient langoureusement bercé son âme sans qu’elle sût leur donner un nom durant le tête à tête qu’ils avaient eu, elle et lui, et dont elle ne pouvait plus à présent se cacher la ravageuse nature.
Elle fit un rapide tour du propriétaire, déçue et lasse, et rentra vaquer à quelques occupations domestiques, quelques lectures, quelques oraisons à l’intention de la déesse du foyer, pour éviter de s’abandonner à la mélancolie, et tuer les heures dont elle ne savait que faire parfois, en ce jour moins que jamais.
Attendre, attendre, c’était là le mot clé d’une existence de femme, la seule notion à laquelle rien de son éducation patricienne ne l’avait préparée, et pourtant ce à quoi elle passait le plus clair de son temps. Attendre l’exaspérait souvent, lui mettait les nerfs à vif jusqu’à lui provoquer des crises de larmes qu’il lui était bien difficile d’expliquer ensuite, tant elle avait tout pour être heureuse. Elle-même le reconnaissait dès qu’elle surmontait son angoisse et s’obligeait à faire le point. Un mari attentionné et tendre, un train de vie opulent, une maison dont la magnificence piquait la curiosité des étrangers, une famille unie. D’où lui venait dont l’irritante désespérance de l’attente ? Insoluble, la question qu’elle se posait à intervalles s’effilochait d’elle-même en rêveries disparates dont finissaient par la tirer l’intrusion d’une servante, une odeur de cuisine, un bruit de la rue.
(à suivre) Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs, de maintenant et de toujours
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