CARPE DIEM (5e épisode)
5. Confidence
Son mari, toujours très occupé par la politique, le négoce, et ses soins corporels aux thermes, quand ce n’était pas au Sénat à Rome, vint la rejoindre au moment de la cena, après avoir reçu sa nombreuse clientèle. Elle s’efforça de sourire et de paraître gaie mais il la connaissait suffisamment bien pour deviner dès le premier abord que quelque chose n’allait pas. Elle le connaissait, lui, suffisamment bien pour savoir qu’elle pouvait sans crainte libérer son cœur de ses tourments, et lui expliquer les raisons de sa tristesse. Leur union avait fait ses preuves au fil des années et, l’un comme l’autre, ils avaient appris à reconnaître en eux-mêmes et dans les autres toutes les faiblesses de l’âme et de la chair, par où s’introduisent parfois les êtres de rencontre, celles qui la plupart du temps mettent à mal les liens du couple, et peuvent les distendre aussi jusqu’à la rupture. Ils s’étaient toujours promis la tolérance, la compréhension, le pardon, sachant que leur bonne entente reposait sur l’intelligence du cœur et de la raison, qu’elle avait vocation à la durée. Ils savaient que la vie est flux incontrôlable d’événements, de rencontres nouvelles, et anciennes, de joies et de peines, qu’il ne tenait qu’à eux d’essayer de domestiquer un tant soit peu l’inattendu, en ne lui accordant qu’une place secondaire par rapport à leur mariage, priorité des priorités. Ils avaient fait leur l’idée que l’âme et la chair ont leurs exigences immédiates, que la tentation est la même, qu’il s’agît d’une grappe cueillie à la treille et goûtée dans la splendeur du matin, dans la solitude du plaisir non partagé, ou du visage juste découvert sur lequel on fait courir des lèvres avides de baisers, des cheveux parmi lesquels on glisse des doigts tremblants, préludes à des demandes plus gourmandes encore, à des attentes plus effrénées, à des partages plus savoureux. La solitude fondamentale de chaque être était donnée intransigeante ; l’essentiel demeurait l’acceptation, par l’amour vrai, généreux, charitable, de la liberté provisoire de l’autre, annexée à la valeur suprême de l’indissoluble fidélité dans la communauté de vie, cimentée par une indéfectible tendresse.
Elle avoua à son époux le trouble qui s’était emparé d’elle et du jeune homme, son effroi devant tant d’inconnu, le bouleversement dont elle était l’objet et sa certitude cependant de lui garder, à lui l’époux, un attachement que rien ne viendrait corrompre. Il lui rappela leurs conversations à ce sujet, l’accord auquel ils étaient maintes fois parvenus, il la rassura, la prit dans ses bras, et murmura comme à l’accoutumée : « ne t’inquiète pas, je suis là ». Rassérénée, elle l’accompagna jusqu’au triclinium.
(à suivre) Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs, de maintenant et de toujours