Partir !
Partir ! Partir loin des avrils glacés de Normandie, vers une île ensoleillée, une ville où le ciel reste bleu, où le long des murs chaulés, qui réverbèrent la chaleur et la lumière de l’été, descendent les touffes colorées des bougainvillées, où doucement la brise légère soulève les cheveux des passantes, emportant sur son aile tous les chagrins d’une vie, tous les rêves non accomplis, toutes les absences à jamais douloureuses, toutes les blessures restées béantes, qu’aucun baume, aucune présence, aucun amour, aucune main amie ne pourront plus apaiser.
Partir ! Regarder lentement s’éloigner le port et la côte dans l’odeur mêlée de mazout brûlé et d’effluves iodés, contempler la voltige acrobatique des beaux oiseaux de mer, ivres de soleil, de liberté, qui suivent le navire de leurs cris rauques. Humer dans le vent l’air salé du grand large et fermer les yeux sur un avenir inconnu, incertain et provisoire.
Partir ! Abandonner parmi les algues noires, sur le rivage de la vieille Europe, toutes les images qui assaillaient la mémoire, toutes les larmes qui perlaient aux paupières, tous les psaumes, toutes les prières. Fourbir mes armes. Maudire l’Infâme sans foi ni loi, démon sans vergogne, humain sans âme. Œuvrer, jour et nuit, pour que le poursuivent, jusqu’à la mort, les malédictions de Cassandre, et que l’étouffent ses mensonges et le mauvais sort, sous des monceaux de scories et de cendres.
13 avril 2023 Aimée Saint-Laurent © Chants de guerrière