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Nicole Péruisset-Fache

Professeure agrégée honoraire, Docteure de l'Université de Rouen, Qualifiée aux fonctions de maître de conférences, Chercheure en sciences humaines indépendante, poète à ses heures

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Billet de blog 13 juin 2023

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CARPE DIEM (7e épisode)

Depuis qu’elle s’était donnée à lui, dans la petite diaeta circulaire perdue au milieu de la végétation au fond du jardin, elle était agitée de sentiments contraires.

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CARPE DIEM (7e épisode)

7. La diaeta *

Depuis qu’elle s’était donnée à lui, dans la petite diaeta circulaire perdue au milieu de la végétation au fond du jardin, elle était agitée de sentiments contraires. Tantôt elle se félicitait d’avoir su apporter un peu de rêve dans la vie de cet homme dont elle commençait à connaître le quotidien  fait de labeur et de souci : elle lui faisait don d’un amour que venaient exalter son rang, sa beauté, sa culture, sa richesse. Tantôt, elle s’en voulait de lui avoir cédé aussi facilement car il lui semblait que, la croyant acquise pour de bon, il avait tendance à la délaisser. Il était vrai que, quelques semaines après le couronnement de sa conquête, il avait eu l’air de se montrer plus distant, moins disponible en tout cas. Du moins, c’était de cette façon qu’elle interprétait ses absences plus longues du chantier presque achevé, livré au savoir-faire de ses employés, et sa moindre hâte à la retrouver seul à seule. Là où elle aurait dû voir une sagesse instinctive témoignant d’une maturité étonnante pour un homme si jeune, elle était disposée à comprendre au contraire qu’il avait eu trop vite ce qu’il désirait et s’en lassait déjà.

Elle se rendait seule à la diaeta, souvent, sous prétexte de s’y reposer et y revivait en rêve les étreintes passionnées qui y avaient eu lieu, les caresses de ce corps d’homme si musclé et souple. Elle y imaginait les scènes qui s’y dérouleraient peut-être de nouveau si les dieux le permettaient, si l’amour avait la chance d’être vrai et durable.

Ses craintes se dissipaient quand elle se trouvait de nouveau en la présence du jeune homme : les regards de feu qu’il lui adressait, les paroles lourdes de sens qu’il prononçait, lui si avare de mots, la douloureuse sincérité de ses remarques sur le temps qui passait et allait de nouveau bientôt les séparer lui redonnaient confiance. Elle comprenait alors que, dans la solitude, elle se trompait sur les causes de son absence, que cette solitude lui faisait à demi perdre la raison, la harcelait d’angoisses sans fondement, que toutes les explications échafaudées par sa méfiance n’étaient que chimères destructrices du bonheur d’être aimée, de sa vie, de son être. Un quart d’heure passé dans les bras de celui dont elle était follement éprise pour le beau regard clair, pathétique, qu’il jetait sur le monde, sur la vie, sur elle, le regard des vaincus, des opprimés qui refusent de se laisser soumettre et luttent de toutes leurs forces, et le ciel gris de son horizon redevenait d’azur comme les yeux de ce jeune homme dont les ancêtres avaient dû descendre du Nord, ce Nord si lointain, si mystérieux, auquel l’Empire n’avait pas encore accès. Avaient-ils, ces ancêtres, été attirés par le soleil et l’opulence du Sud, à l’inverse de Rome que les rivages septentrionaux intéressaient pour la nouveauté de leurs richesses, de leur ambre et de leurs vastes territoires ? Elle ne le saurait jamais.

Mais ces quarts d’heure se faisaient rares, après avoir été quotidiens. Ils redevenaient plus nombreux à de certains moments, puis s’espaçaient et de nouveau elle souffrait.

L’incertitude se fit si douloureuse un jour qu’elle résolut de contrevenir à l’engagement pris de rester dans l’ombre et lui écrivit une lettre qu’elle fit dépêcher par un messager. Elle avait passé des heures à composer deux ou trois phrases qu’elle voulait à la fois claires et obscures, claires pour qu’il comprît sa détresse, obscures pour que, si le message tombait entre des mains indiscrètes, nul ne sût qu’il venait d’elle. Le messager était rentré l’avertir que le destinataire de sa lettre était absent de la ville pour le moment, qu’il travaillait chez le cousin d’un certain Marcus Obellius Firmus, domicilié à Rome. Elle avait payé ce messager pour qu’il se rendît chez ce citoyen romain. Elle était à bout de patience et de forces, en proie à un désespoir qui commençait à se lire sur son visage. Ses joues se creusaient, son teint se ternissait, et ses yeux portaient la marque de nuits tourmentées et ponctuées de pleurs. Bien que son entourage n’en eût pas encore fait la remarque, l’image que lui renvoyait le miroir lui paraissait désastreuse. Elle  se rendait compte que ce qu’elle croyait son principal atout pour être aimée devenait de plus en plus fragile, et elle ne savait comment y remédier. La présence du jeune homme lui rendrait son sourire, elle en était sûre, et l’éclat de sa beauté. Soulagée d’avoir écrit cette lettre, elle se remit à attendre et espérer. La réponse ne serait pas longue, c’était l’affaire de quelques jours. Elle retrouva l’appétit, reprit des couleurs, se remit à chanter, en un mot redevint éblouissante. Ses familiers lui en firent compliment. Elle reprit confiance.

(à suivre)  Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs, de maintenant et de toujours

* Les musées de plein air que furent les jardins modernes ne s’exprimèrent pas
seulement au travers de magnifiques collections de statues antiques ou de copies mais
également par la reprise de constructions qui virent les beaux jours du jardin romain, édifices
que les Latins nommaient diaetae. Une diaeta, si l’on en croit Pierre Grimal, était une
construction architecturale importante dans le jardin romain. Son origine pourrait provenir des
Grecs, des Egyptiens ou de la Grande Perse et il semblerait que l’on pourrait y attacher
quelques associations sacrées
. Sous le Haut Empire, ces pièces servaient pour le quotidien
et elles étaient toujours dispersées dans le jardin
. Pourtant, la diaeta reste un élément
complexe à saisir, même si divers textes de lois antiques précisent la signification de ce mot.
Ces caractères essentiels étaient sa petitesse relative et surtout son isolement. Elles
pouvaient être circulaires, carrées, placées à différents endroits du jardin, le plus souvent elles
comportaient plusieurs étages, si bien qu’elles ressemblaient à de véritables tours.  (Marie-Sophie GRAILLOT
Pratiques et Représentations du jardin à Rome
et dans la campagne romaine, XVIe
-XVIIIe
siècles, Mémoire de Master 2 « Sciences humaines et sociales » Année universitaire 2010-2011)

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