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Professeure agrégée honoraire, Docteure de l'Université de Rouen, Qualifiée aux fonctions de maître de conférences, Chercheure en sciences humaines indépendante, poète à ses heures

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Billet de blog 16 mai 2023

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Tribulations d’un gigolo, Conte picaresque du XXIe siècle, 13e épisode

La lettre d’amour la fit pleurer (et pourtant à la même époque, comme depuis toujours, il lui écrivait des messages commençant par « mon Amour » avec une majuscule) ; en voyant la photo, elle éclata de rire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Commençons par le chef d’œuvre : la lettre d’amour et son style pompeux, ampoulé, digne du coq dressé sur ses ergots tellement représentatif d’un séducteur chevronné, d’un mec infaillible, sûr de lui, un style tout à fait en adéquation avec la culture d’une demandeuse d’aide sociale, femme de ménage dans un lycée en son dernier état, de surcroît. Elle lut :

« Mon amour (sans majuscule, cela la consola un peu),

 Chose promise, chose due. Tu sais que je tiens toujours mes promesses. Tu voulais une lettre d’amour. Je t’ai écris (sic, mais la faute d’orthographe, peu étonnante de sa part, était sûrement passée inaperçue de la destinataire) ce poème. Il y a très longtemps que je n’en ai plus composé. J’étais alors adolescent. Mais avec toi je retrouve ma jeunesse, peut-être même que je la découvre pour la première fois, grâce à toi ma princesse. Est-ce un miracle ? En tous cas ce n’est pas un mirage car tu es bien réelle, présente dans mes pensées à chaque instant de ma vie. Que c’est bon d’aimer et d’être aimé. »

Hélas, le poème reste introuvable. Œuvre d’art probablement rédigée à la main en exemplaire unique pour lui donner plus de valeur sentimentale et marchande (les manuscrits d’artistes sont mis aux enchères pour des fortunes à l’Hôtel Drouot, chez Christie’s ou Sotheby’s), il y a fort à parier, s’il existe toujours, que ce poème gît dans les poussiéreuses archives de ladite princesse en attendant le moment de la succession de l’artiste. Analysons un peu néanmoins la lettre d’amour, enregistrée sur les deux clés USB, dans un fichier intitulé « accompagnement », le premier fichier de la liste qui figure dans le dossier enregistré au nom de jeune-fille (semble-t-il, car trois noms différents lui sont attribués selon les différents courriers) de la princesse, et que l’épouse, sa rivale donc, enquêtrice de fortune, pensait être un courrier professionnel, officiel, d’accompagnement pour une demande prud’homale.

Le chevalier servant, honnête homme d’âme très noble, Don Quichotte des temps modernes au service de la veuve et de l’orphelin, celui qui tient ses promesses, c’est celui qui écrit en ce dimanche matin de fin décembre, en cachette de son épouse présente non loin de lui (et en dépit des promesses d’amour-jusqu’à–la-fin-des-temps, autrefois jurées à celle-ci par écrit), à l’heure où habituellement ils prennent le café tranquillement (comme le croit l’oie blanche), elle et lui, ensemble, chez eux. A cette heure, en cette année lointaine, l’épouse légitime ne se doute pas de la trahison, elle ne la découvrira que treize ans et demi plus tard. Chapeau, l’artiste !

A travers les lignes boursouflées de cette lettre d’amour, le voici qui se présente comme le fin lettré qu’il n’est pas et qui, à l’époque de son adolescence, s’était inventé une vocation de poète et « composait » des vers (le choix du verbe en impose auprès d’une personne qui a quitté l’école de bonne heure, il signe son érudit !). Voilà qu’elle comprenait maintenant le mystère de l’attestation de baccalauréat qu’il avait réclamée, avant son départ, parce qu'il ne se souvenait pas de l'endroit où elle l'avait rangée. Il fallait épater la princesse illettrée. Il avait donc oublié que des bouts rimés mièvres, sans génie, il en offrait pour un oui, pour un non, en quantité à son épouse, longtemps encore après leur mariage, bien après la fin de son adolescence en tout cas. Ou plutôt, il savait que la princesse n’en aurait jamais connaissance et qu’il pouvait lui mentir. Sentimentale, la dédicataire d’antan les avait bêtement conservés pendant quarante-cinq ans, alors qu’ils étaient juste bons à allumer le feu.

Etait-ce la maladie d’Alzheimer qui, petit à petit, s’immisçait alors, déjà, dans le cerveau défaillant de cet homme de cinquante-sept ans qui se prenait pour un adolescent ? Sauf si l’immaturité de l’adolescence persistait encore en lui, ce qui paraît tout à fait concevable. D’ailleurs, douze ans plus tard, à près de 70 ans, sa fuite du domicile conjugal avait été interprétée par quelqu’un de son entourage comme une crise d’adolescence.

Admirons cette trouvaille : le subtil jeu de mots sur « mirage » et « miracle » ! Extasions-nous sur la révélation toute nouvelle, la découverte bouleversante de la prime jeunesse par un quinquagénaire, presque sexagénaire, marié depuis vingt-neuf ans à l’époque ! Restons béats d’admiration devant la merveilleuse et inédite coïncidence des sentiments entre les deux protagonistes d’âge mûr, comme s’il s’agissait d’un premier amour dans sa fleur à peine éclose ! Ce n’est pas la passion de Roméo et Juliette si admirablement évoquée par Shakespeare, mais tout de même, qui ne rêverait d’aimer et d’être aimé en retour, de cette façon-là, à cet âge plus que canonique ?

Prenons toutefois en compte le fait, découvert et avéré plus tard, que la princesse en question, la femme manifestement idéale, probablement collectionneuse de liaisons dangereuses vu sa tête de dévergondée dont la photo fait rire tous ceux qui la voient, a déjà été mariée deux fois, est restée en instance de divorce un an la deuxième fois malgré la séparation de son mari, actée par décision de justice.  La présence inespérée et miraculeuse, dans sa vie, du prince charmant qu’elle venait de rencontrer en était sûrement la cause. Les courriers retrouvés sur les clés USB dévoilent que l’instance de divorce s’est opportunément conclue, brutalement, sans nécessiter d’autres frais de justice, au bout de quelques mois, par la mort inopinée du mari, une bénédiction ! Cela permet à la princesse peu éplorée de toucher une pension de veuve invalide, la vie est belle !

Quant au prince charmant, en même temps que sa jeunesse, il redécouvre, sûrement dans un style passé de mode depuis le XVe siècle et Charles d’Orléans, l’écriture de poèmes qu’écrivaillon de pacotille, il avait abandonnée depuis des lustres et, ce qui n’est pas négligeable, il vient probablement aussi de recouvrer sa virilité, pleine et entière, grâce aux talents de la princesse. Ajoutons le fait, révélé encore plus tard, que la princesse grasse, héroïne de ce merveilleux conte de fées, est à 47 ans quand il la rencontre, mère d’au moins quatre enfants adultes nés de deux lits, et grand-mère. Bref, ne nous attardons pas sur la personnalité de la matrone bien en chair mais visiblement pauvre d’esprit, puisqu’elle fait rédiger ses courriers par son secrétaire particulier. Il est vrai que les courriers, rédigés par l’érudit muni du baccalauréat, au nom de sa dulcinée, font état de l’invalidité catégorie 2 de la locataire du logement social, état qui devrait, à sa demande, susciter l’indulgence du bailleur social à qui les courriers s’adressent, éveiller sa compassion et l’inciter à remédier d’urgence à diverses malfaçons dans ce logement social où elle indique vivre seule et que pourtant le secrétaire décrit avec la minutie de quelqu’un qui y habite et qui a déjà donné cette adresse comme étant la sienne. Le secrétaire signale, entre autres, l’ouverture malaisée, vers l’intérieur, de la porte des toilettes exiguës du logement, installation dangereuse qui risquerait, en cas de malaise de la princesse, de la laisser coincée sur le trône sans que personne ne puisse lui porter secours. Ô rage ! ô désespoir ! ô invalidité ennemie !

Mais la courageuse princesse surmonte son état invalide avec abnégation puisque, quelques semaines plus tard, la même année, son secrétaire particulier rédige pour elle une lettre dans laquelle elle sollicite un emploi comme aide à la personne âgée, auprès du directeur d’une maison de retraite. Nous n’expliquerons pas comment une invalide catégorie 2 peut envisager un emploi d’aide à la personne âgée, c’est un mystère qui nous dépasse et dont nous ne feindrons pas d’être l’organisateur.

(à suivre)

Aimée Saint-Laurent ©  Tribulations d’un gigolo, Conte picaresque du XXIe siècle 

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