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Professeure agrégée honoraire, Docteure de l'Université de Rouen, Qualifiée aux fonctions de maître de conférences, Chercheure en sciences humaines indépendante, poète à ses heures

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Billet de blog 16 juin 2023

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Escale à Djibouti (à la mémoire de mon frère François) Episode 3

Djibouti : des maisons de style colonial, assez pauvres, une végétation quasi inexistante, des chèvres dans les cours. Comme en Métropole, il y avait des chiens, des jeeps partout, la mer grise et non rouge, grise comme le ciel mais chaude à ce qu’on disait.

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Escale à Djibouti (à la mémoire de mon frère François) Episode 3

Djibouti : des maisons de style colonial, assez pauvres, une végétation quasi inexistante, des chèvres dans les cours. Comme en Métropole, il y avait des chiens, des jeeps partout, la mer grise et non rouge, grise comme le ciel mais chaude à ce qu’on disait. A part pour boire, il en fit vite l’expérience, pas d’eau froide. Les ventilateurs de plafond tournant inlassablement mais ne refroidissant rien. L’humidité atteignant parfois 90%.

A la caserne de transit de l’endroit, assez éloignée de l’aéroport, les recrues nouvellement arrivées devaient rester deux ou trois jours avant d’être fixées sur leur sort. Là, dans un enclos : deux gazelles. Dans les airs, quelques corbeaux, des pigeons et d’autres oiseaux que le jeune-homme ne put identifier, malgré ses bonnes connaissances ornithologiques.

Dès son arrivée, il avait appris qu’il pourrait profiter gratuitement des clubs locaux de plongée, parachutisme, équitation. Il s’était plié aux rituels obligatoires : sieste de 13 heures à 16 heures, par exemple. Au climat, au bétail, aux gens, c’était bien l’Afrique. De l’autre côté de la mer : l’Arabie, de quoi rêver. Quant à la population des casernes, beaucoup de chauffeurs. Le jeune soldat se prit à plaindre les cuisiniers, qui avaient à supporter la chaleur des casseroles en plus de celle du climat. Pour le reste des hommes, les climatiseurs, en marche dès 13 heures.

Plus tôt que prévu, le lendemain de son arrivée, un samedi, le jeune appelé changea de caserne : de fait, cette nouvelle caserne était contiguë à la première mais n’avait pas la même affectation. C’était celle du 5e Régiment Interarmes d’Outre-Mer.

Les formalités d’installation, ici, comportaient une visite médicale, une de plus. Au bout de quelques jours donc, il lui fallut se rendre à l’infirmerie, distante d’un kilomètre, pour satisfaire au règlement. Là, le Médecin-Commandant demanda au jeune-homme si tout allait bien. Déjà, celui-ci avait perçu les signes de ce qui allait devenir pour lui l’envers du décor. D’ailleurs, il n’eut pas besoin de mentir, lui qui, enfant, avait eu le nez cassé par un galet de plage maladroitement lancé par une cousine en vacances chez ses parents, pour dire qu’il avait du mal à respirer. Le Médecin-Commandant décida sur-le-champ de lui prendre rendez-vous à l’hôpital civil au service O.R.L. Le mercredi suivant, le médecin de ce service ayant examiné le nez fautif, déclara qu’il fallait opérer. Mais le jeune-homme, méfiant –les chirurgiens étaient bien connus pour toujours avoir des fourmis dans les mains comme s’ils manquaient douloureusement d’expérimentation – fit remarquer qu’étant appelé, et non engagé, il était libre de ne pas souhaiter cette opération. Quoi qu’il en soit, les mêmes paroles furent prononcées par le médecin militaire, puis le médecin civil : « vous ne devriez pas être Outre-Mer. Vous auriez dû être réformé avant. »

De retour à l’infirmerie où il devait présenter le compte rendu du médecin civil, le jeune-homme eut à faire à un nouveau médecin militaire (le premier, ayant accompli ses deux années de service, venait de repartir pour la Métropole). L’homme lut le compte rendu et inscrivit sur le carnet du jeune soldat : « proposé réforme définitive » et déclara, comme les deux autres médecins, qu’il devait s’attendre à être rapatrié bientôt.

Le jeune-homme croyait savoir exactement ce qui lui était réservé : il fallait attendre que la commission de réforme soit convoquée, qu’elle se réunisse, qu’elle examine son cas, qu’elle statue, que le procès-verbal soit rédigé puis envoyé à qui de droit. Bref, si l’on peut dire, il fallait que la trace écrite de la délibération suivie de la décision accomplisse un périple labyrinthique de service en service, de bureau en bureau, de secrétaire à secrétaire, de l’Afrique à la France puis de nouveau à l’Afrique. Il n’était pas sorti de l’auberge ! On l’avait informé qu’une fois la réforme prononcée, on ne pouvait pas prévoir combien de temps l’armée le garderait…

Ce tournant imprévu que venait de prendre son incorporation, comme un engrenage dans lequel il avait tout-à-coup mis le doigt, ou plutôt le nez, souligna brusquement tous les désagréments de la vie militaire et de l’endroit qui l’avait fait rêver un moment. Fils de médecin, habitué aux consignes les plus élémentaires comme de se laver les mains trente-six fois par jour, il dut se résigner à la chaleur insupportable, la sueur dégoulinant, que dis-je, ruisselant le long de votre dos, de vos tempes, de vos jambes, sans arrêt, et puis, surtout, ce à quoi brutalement on venait de le réduire, l’inactivité totale puisqu’on l’avait exempté de marche, de sport ou d’exercices violents (ne venait-il pas de passer les derniers jours, de 5 heures du matin à 9 heures le soir, à rester allongé sur son lit, à attendre il ne savait quoi, à ruminer les derniers événements sans en comprendre l’infernale logique, à essayer d’élaborer de vaines stratégies de sortie plus rapide ?)

(à suivre) Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs, de maintenant et de toujours 

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