Offrandes (à Paul)
En sa Pagode de Mandalay, les adorateurs du dieu réincarné pieusement déposent, une à une, leurs feuilles d’or fin sur la statue du Bouddha Mahamuni à la grande sagesse. Au long des jours, des semaines, des mois, des années, je semais au-dessus de ton visage, de ton corps, de ta vie, les gerbes d’étoiles jaillies d’un cœur incendié par ton être, les étincelles de ma joie d’exister pour toi, éblouissants feux d’artifice du bonheur de te revoir après de si longues attentes.
Amoureuse impatiente, je semais sur ton existence adorée les mille pétales des poèmes écrits pour toi, pages essaimées au fil des jours passés sans toi, des nuits dévorées de passion et du désir de toi, envol d’éphémères bulles multicolores, pluie de mes larmes sur ton absence, soleil de ta silhouette aperçue, irisant soudain l’arc-en-ciel de mon sourire, l’arche d’alliance entre toi et moi.
En ton honneur, toi l’époux tant espéré, je t’offrais à ton retour des colliers de fleurs écloses aux jardins de Babylone, je passais l’arabesque de mes bras autour de tes épaules, prélude au doux échange du baiser, l’étincelant baiser de Klimt.
Chez nous, t’attendaient alors les parfums musqués de l’Orient mêlés à mes cheveux, l’huile légère des noces aux senteurs de benjoin et de myrrhe pour oindre ton corps d’éphèbe, la fragrance fraîche du lin nuptial, séché au vent des lavandières.
Je t’apportais en offrande les horizons bleus de mes songes, l’air sauvage et fier du grand large, le paradis ensoleillé d'îles imaginaires, un avenir de voyages sur toutes les mers du monde, les terres inconnues de la poésie découvertes pour toi, ma solitude et ma souffrance, jetées en pâture à tout vent, destin de tout artiste. Je t’apportais les cathédrales de ma ferveur, l’encens de mes prières, l’anneau de mariage des âmes-sœurs, les nuages légers de l’éternité. Eternité d’un amour à inscrire au livre des légendes.
Rien n’y a fait. Ce sont années disparues au gouffre de ta mémoire abolie, offrandes défuntes, saccagées par les démons de ta folie, tes fantasmes de vieux Faust, et les sortilèges d’une harengère qui t’a leurré jusqu’à un lit de passage.
16 juillet 2023 Aimée Saint-Laurent © (Chants des Noces)