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Professeure agrégée honoraire, Docteure de l'Université de Rouen, Qualifiée aux fonctions de maître de conférences, Chercheure en sciences humaines indépendante, poète à ses heures

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Billet de blog 17 mai 2023

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Tribulations d’un gigolo, Conte picaresque du XXIe siècle, 15e épisode

Au moins, depuis qu’il était parti, l’épouse légitime échappait à ces désagréments, à cette tenue fort peu civilisée.

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« Mais non », répétait-t-il après son départ, dans ses mails à son épouse : « je n’ai pas l’intention de refaire ma vie » (après son départ), « on ne refait pas sa vie à 71 ans » (un an plus tard). Accordons-lui le bénéfice de la demi-franchise, pour une fois ; il ne mentait qu’à moitié, il n’avait pas l’intention de refaire sa vie puisqu’il l’avait déjà refaite, treize ou quatorze ans auparavant, à temps partiel pour commencer, il vaut mieux prendre le temps de s’habituer, avant de partager tous les jours la table, le lit, l’orgasme, la corvée de poubelles et les chiottes.

En l’occurrence, en ce qui le concerne, il s’agissait juste d’une erreur d’appréciation du temps qui passe. Il ne trompait pas sa femme, il se trompait de femme, ainsi qu’il avait l’habitude de le dire à propos d’autres gigolos. Peut-être son cerveau ne se repérait-il déjà plus dans la succession des événements et des figures féminines… Une chose est sûre : de tragique, la vie amoureuse du héros était devenue une farce sordide, selon la phrase bien connue de Karl Marx sur les événements de l’histoire qui se répètent. Et de Prince charmant, notre séducteur professionnel, était devenu gigolo-sur-le-retour car les années passaient, ses cheveux rescapés de la calvitie inexorable, qui le tourmentait tant, étaient devenus grisonnants, son teint avait terni et ses dents déchaussées avaient jauni et noirci. Il arborait dorénavant triste mine, notre héros et, avec l’âge, 70 ans passés, son caractère s’était aigri, il était devenu de plus en plus ombrageux et grincheux. La Princesse grasse ayant touché le gros lot et disposant dorénavant de l’aide sociale directement à domicile, il pouvait peut-être se rassurer sur sa fidélité aux casseroles du ménage et trouver la paix. Rien n’était moins sûr.

L’épouse bafouée fit d’autres découvertes : elle qui avait tant pleuré devant son mari, des années auparavant, quand ses calculs lui avaient montré qu’elle n’avait pas les moyens, avec ses maigres économies, de racheter ses années d’études pour prendre sa retraite avec le minimum nécessaire de trimestres cotisés, elle découvrit après son départ, dans un dossier « impôts » dont tous les éléments lui étaient inconnus, que vers l’époque de sa magnifique rencontre avec sa harengère, son bougre de mari avait été inquiété par le fisc, en vue d’un éventuel redressement fiscal, pour n’avoir pas déclaré les sommes d’un compte dont elle ignorait tout et dont à première vue elle ne lut même pas correctement les montants, tellement ils étaient vertigineux : plus de deux millions d’euros au total. Comment était-ce possible alors qu’à la même époque exactement, et pendant dix ans, il avait été payé au SMIC par son syndicat ? Qu’en outre, 2008 était l’année de la crise financière. D’où venait cette fortune ? Il y avait là aussi un cadavre dans le placard, qui sentait très, très, mauvais. Cette accumulation d’argent inexplicable, insensée, elle ne pouvait pas la comprendre, qu’y avait-il dessous ? Elle ne garda pas le silence. La lumière serait faite sur l’origine de ces millions.

Nous y étions donc. Il avait tout fait pour dissimuler sa double vie, surtout celle des quatorze dernières années, et pour faire croire à son oie blanche que s’il avait perdu sa joie de vivre, pour reprendre les termes de sa lettre de rupture, c’était sa faute à elle, entièrement, uniquement. De son côté, elle avait bien vu qu’il était devenu de plus en plus sombre, cassant, contrarié. Alors juste après son départ, quand elle espérait encore un sursaut elle se disait, pour se consoler, que s’il y avait eu une histoire d’amour derrière ce comportement, en bonne logique il ne serait pas triste, bien au contraire. Elle était donc tentée de croire à la sincérité de son mal-être, de ses protestations de droiture,  de son désir de solitude.

(à suivre)

Aimée Saint-Laurent ©  Tribulations d’un gigolo, Conte picaresque du XXIe siècle 

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