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Professeure agrégée honoraire, Docteure de l'Université de Rouen, Qualifiée aux fonctions de maître de conférences, Chercheure en sciences humaines indépendante, poète à ses heures

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Billet de blog 17 juin 2023

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Escale à Djibouti (à la mémoire de mon frère François) Episode 4

Il avait soudain réalisé qu’à Djibouti, il n’y avait rien : ce n’était qu’un bout de désert, un port mort à cause de la fermeture du Canal de Suez depuis la Guerre des Six Jours, des boutiques qui se comptaient sur les doigts des deux mains et, pour un soldat, c’était tout.

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Escale à Djibouti (à la mémoire de mon frère François) Episode 4

Il avait soudain réalisé qu’à Djibouti, il n’y avait rien : ce n’était qu’un bout de désert, un port mort à cause de la fermeture du Canal de Suez depuis la Guerre des Six Jours, des boutiques qui se comptaient sur les doigts des deux mains et, pour un soldat, c’était tout. Le seul intérêt y était la mer, plus chaude que l’air ambiant, excessivement salée ; de plus, il fallait s’éloigner du bord à plus de trois cents mètres à marée haute pour ne plus avoir pied. Enfin, il n’était pas possible de s’y rendre à un autre moment qu’après la sieste vers 16h30, ou le dimanche matin.

Il avait aussi appris que les divers clubs qui lui avaient paru offrir quelque avantage n’ouvraient qu’à partir de la saison froide, septembre donc, et on était au début du mois de juillet. La température était inexorablement élevée : 35°C le matin, de 45°C à 50°C à midi. Les bouteilles vides, lui avait-on rapporté, fondaient au soleil sur les tas d’ordures où elles s’amoncelaient, ou encore, se trouvaient déformées par la chaleur. Le jeune-homme se souvenait d’avoir lu dans ses livres d’astronomie que les comètes aussi se trouvaient déformées par la chaleur des espaces sidéraux. Cette région du monde était donc si proche, par sa nature, de l’Espace ? Pour résister à la démesure du climat, les gens étaient obligés de boire des litres et des litres d’eau, additionnés parfois de grenadine ou de menthe. Malgré les ventilateurs, les climatiseurs et l’inaction, il était impossible de ne pas transpirer vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Malgré aussi la présence de la mer, à vingt-cinq mètres seulement de la caserne, de l’autre côté de l’unique voie ferrée de la région, celle qui reliait Djibouti à Addis-Abeba et qui procurait quelques distractions aux encasernés : il y circulait plusieurs trains par jour, diesel traînant tantôt des wagons de marchandises, tantôt des voyageurs, quelquefois les voyageurs parmi les marchandises. Les distractions étaient si rares !

Les quelques boutiques installées en ville ne vendaient que des produits japonais, ou presque, des chaînes haute-fidélité ou des magnétophones, trois fois moins chers qu’en France. Quant à l’Art Nègre, seulement des objets que l’on prouvait trouver n’importe où ailleurs et fabriqués industriellement… des masques en bois, des lances, des couteaux. Rien de très intéressant sauf peut-être des peaux de léopards vendues pour une bouchée de pain. Mais le jeune-homme que révoltait ce commerce lâche se refusait à encourager la destruction d’animaux, d’après lui aussi jolis qu’inoffensifs.

Quelques jours seulement, une semaine en tout, avaient suffi pour l’instruire de quoi était faite la vie dans ce pays qu’il avait tout d’abord cru auréolé d’un charme magique. Mais cette région de la corne de l’Afrique était ni plus ni moins peuplée d’hommes, et il s’y passait, comme partout où il y avait des hommes, des choses peu glorieuses. C’est ainsi qu’il avait appris qu’autour de Djibouti se trouvait ce que les gens d’ici appelaient « le Barrage », une haute clôture barbelée, bordée de chaque côté par une bande de terre truffée de mines, destinée à empêcher les Afars ou les Issas d’envahir la ville où ils auraient pu vouloir s’installer pour y chercher des emplois inexistants. De plus, les « gardes-frontière », si on pouvait les appeler ainsi, avaient ordre de tirer à vue, et à balles de guerre, sur tout ce qui tentait de passer le mur, comme à Berlin du côté soviétique, pensa-t-il. Le jeune-homme en conclut que c’était probablement ce que, dans les hautes sphères gouvernementales ou diplomatiques, on appelait l’amitié du peuple Somali et du peuple Français. Passait encore pour les autochtones déjà installés dans l’enceinte, on les tolérait. Quant aux autres, qu’ils crèvent de faim au soleil ! Il ne restait à espérer pour eux que les sentinelles du Barrage réfléchiraient avant de tirer ou, si elles ne réfléchissaient pas, qu’elles manqueraient leurs tirs.

(à suivre) Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs, de maintenant et de toujours 

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