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Nicole Péruisset-Fache

Professeure agrégée honoraire, Docteure de l'Université de Rouen, Qualifiée aux fonctions de maître de conférences, Chercheure en sciences humaines indépendante, poète à ses heures

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Billet de blog 18 juin 2023

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Escale à Djibouti (à la mémoire de mon frère François) Episode 6

Dès son arrivée à Arta, le jeune-homme avait été présenté à ce capitaine ; celui-ci s’était alors empressé de téléphoner à l’infirmerie de Djibouti pour savoir ce qu’il allait faire de ce gars.

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Escale à Djibouti (à la mémoire de mon frère François) Episode 6

Dès son arrivée à Arta, le jeune-homme avait été présenté à ce capitaine ; celui-ci s’était alors empressé de téléphoner à l’infirmerie de Djibouti pour savoir ce qu’il allait faire de ce gars. On lui répondit que la commission de réforme allait statuer sur son cas d’ici peu, une quinzaine de jours, tout au plus.

Arta était située en altitude, on y souffrait moins de la chaleur, mais dès 10 heures du matin le thermomètre indiquait déjà 30°C (à Djibouti, c’était la température minimale, la nuit). Par contre, il y avait de quoi se plaindre de la mauvaise qualité des repas et forcément regretter avec nostalgie la fraîcheur et l’humidité de la Normandie, car ici la principale préoccupation, la seule occupation de chacun consistaient à tenter d’étancher sa soif.

A partir de son installation à Arta, la vie ne fut plus pour lui qu’une longue suite de jours atrocement monotones. Il n’obtenait aucune nouvelle de son dossier de rapatriement. Il ne comprenait pas ce qu’il était venu faire ici où rien ni personne ne l’attendait. Les lettres de ses  parents, de ses grands-parents, du reste de sa famille, n’arrivaient pas, et de celles qu’il avait reçues, il lui était alors difficile de comprendre certains passages, devenus incohérents. Tout ce qu’il avait à faire était attendre. Alors, il attendait. Il attendait sans rien avoir à faire. Ou plutôt si, de six heures du matin à midi, il balayait la chambre, puis il s’allongeait sur son lit. Autant dire qu’il tournait en rond dans sa tête à défaut de tourner en rond dans sa cage. Les semaines étaient interminables et c’est interminablement qu’elles s’ajoutaient aux semaines. Le mois de juillet passa ainsi, vide, inutile, hors du temps et de l’espace, dans le désœuvrement, sans but, sans rime ni raison.

Un des premiers jours d’août, on le fit changer de chambre, car des gradés devaient arriver pour passer des examens. Son aire de balayage, qui représentait la surface produite par une longueur de 30 mètres sur une largeur de 8, s’en trouva réduite. Le samedi, le dimanche, étaient bien jours de sortie, mais il n’y avait à Arta qu’un seul bistrot, envahi, bien sûr, par des militaires dont les villas parsemaient la colline, avec çà et là aussi des centres de repos, aménagés en cet endroit, en raison du climat moins hostile, pour les militaires. Il fallait poser une permission pour descendre à Djibouti, mais on ne posait pas une permission à tout bout de champ.

La situation était intenable : ni vraiment malade, ni vraiment soldat, il était chargé de besognes aussi fastidieuses qu’inutiles : balayer, ramasser les papiers dans la cour, des travaux de peinture aussi, mais ces tâches ne l’occupaient que provisoirement et n’en rendaient les journées que plus longues.

Dans les lettres qu’il écrivait à ses parents, il était seulement question de cela et de son impatience de rentrer. Il se demandait, avec humour parfois, ce que son dossier était devenu. Il se le figurait servant de tapis de cartes  dans un bureau ou l’autre, et rêvait d’un appel téléphonique bien calculé qui réveillerait ceux qui étaient occupés à jouer à la belote dessus. De deux choses l’une, ou bien il était soldat et alors accomplissait des tâches de soldat, ou alors il ne l’était pas et on le rapatriait au plus vite. Mais personne ne semblait se soucier de lui, il n’intéressait personne. Il avait l’impression que, devenu partie intégrante du décor, on allait le garder là jusqu’au bout du temps prescrit, le garder pour le garder, parce que c’était le sacro-saint règlement, parce que le service national avait été décrété d’une durée d’un an, et que les cas particuliers, les grains de sable qui enrayent la machine bien huilée, on les élimine.

(à suivre) Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs, de maintenant et de toujours 

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