Escale à Djibouti (à la mémoire de mon frère François) Episode 7
Il avait demandé à son père de faire intervenir un de ses confrères et ami, suppléant du député élu, afin que son dossier ne soit pas simplement jeté aux oubliettes. Il savait de bonne source que le député en question, proche du Pouvoir en place, était intervenu auprès du ministre pour obtenir par faveur, sans excuse valable du tout, l’affectation rapprochée de deux de ses anciens camarades du village, il avait eu en main, et lu, les doubles du courrier échangé entre le député et le secrétaire du ministre. Alors pourquoi, lui, qui ne demandait aucune faveur mais simplement que sa situation soit régularisée au plus vite, pourquoi, lui, était-il tout simplement oublié, laissé à l’écart ? Il bouillait de colère et d’exaspération.
D’autres tâches lui furent imposées : éplucher les pommes de terre, faire la plonge, ramasser les bouteilles, monter la garde de temps à autre, ce qui avait pour avantage de l’occuper huit heures d’affilée. Car il s’agissait avant tout de ne pas le laisser totalement désœuvré, de tirer parti de sa présence comme pour compenser ce qu’il coûtait au Système, et tout était bon pour cela : on lui fit un jour compter le nombre des arbustes plantés autour des bâtiments du camp. Il en dénombra plus de six cents mais il ne lui avait fallu en tout et pour tout que trois quarts d’heure pour effectuer l’opération.
Il eut la surprise, un dimanche matin de début août de voir arriver au camp Mme D., accompagnée de son fils et d’un ami de celui-ci, sur l’heure de midi. Alertée par le souci que se faisait la famille du jeune-homme à son égard, charitable, elle avait voulu lui apporter en personne des nouvelles (qu’il s’amusa à appeler « fraîches ») de son village, de sa famille, une lettre de ses parents, un colis de ses grands-parents. Elle n’avait jamais pausé qu’une demi-heure, mais cela avait réconforté le jeune-homme. Elle lui avait aussi promis, de même qu’à ses parents, d’intervenir en sa faveur auprès des militaires de haut-rang (un Capitaine d’Etat-Major, un Colonel-Intendant, le Colonel, un Général) qu’elle connaissait bien et fréquentait. Le mot « faveur » lui déplaisait, il ne demandait pas de faveur, il demandait à ce que son droit soit respecté. Pourquoi apparaissait-il donc comme une faveur ? Il y avait là un mystère qui le dépassait.
Une permission obtenue le mardi suivant, jour de repos, lui donna l’occasion de descendre à Djibouti en auto-stop. Il eut la chance d’être pris et put passer une bonne partie de l’après-midi et de la soirée avec les D. Ils occupaient à Djibouti une villa magnifique et étaient très fiers de leur « gazon », du chiendent qu’il fallait arroser tous les jours, mais qui d’après les critères locaux donnait au moins un peu de verdure propre à rendre l’endroit très joli, tout était relatif. Il se rendit, en compagnie du fils et de l’ami de celui-ci à la piscine de l’Hôtel La Siesta, la seule piscine de la ville, d’après ce qu’il pouvait savoir, petite, en forme de haricot, l’eau, chaude, salée, mais cela faisait une entorse à la routine et sa grisaille. Le soir, ses hôtes le gardèrent courtoisement à dîner, il se régala de jambon et de salade venus de France, de raisin du Yémen (destination fréquente des avions d’Air-Djibouti), et il put parler un peu de ses misères, sans trop insister, il n’avait pas besoin d’être plaint, il voulait simplement rentrer dans son droit le plus strict. La conversation tourna aussi autour des problèmes de l’aviation, avec lesquels il n’était pas familier, de l’insupportable chaleur de l’endroit, de la douceur de vivre en Normandie. A minuit, il se rendit à la caserne d’où il était parti pour Arta le 3 juillet, bien que ses hôtes, attentionnés, lui aient préparé une chambre. Il ne voulait pas encourir de sanction. Il dit qu’il n’avait pu remonter à temps à Arta et venait pour coucher là. Le message fut transmis à Arta où il retourna le lendemain matin avec l’ « appro », le fourgon pour le courrier, la glace et autres approvisionnements, après que celui-ci eut cherché la glace sur le port, ce qui permit au jeune-homme d’y jeter un coup d’œil, il ne l’avait pas encore vu. A son arrivée au camp, aucun commentaire à propos de son retard. A Arta, une consolation tout de même : les climatiseurs ne se révélaient pas indispensables, l’air y était plus respirable, et la moiteur absente.
(à suivre) Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs, de maintenant et de toujours