Noces profanées
Au soir de notre vie si mouvementée, comme toutes les vies d’un siècle agité, désorienté par l’hubris humaine, par la folle surdité des puissants criminels, qui dirigent une Terre menacée par l’Armageddon du Livre, si proche, malgré les présages rassemblés, malgré les oracles répétés des Cassandre,
Si près de notre adieu au monde, si près du destin de cendres qui nous attend tous deux, comme tous les êtres dès les origines,
Nous devrions pourtant remercier le Ciel quand il est encore temps, pour l’improbable, fulgurante Rencontre qui nous bouleversa toi et moi, pour l’avenir d’amour sans pareil qui en jaillit et illumina si longtemps nos jours et nos nuits, comme l’unique soleil de notre galaxie.
Nous étions jeunes, nous étions beaux, « couple romantique » selon certains, nous étions faits pour être ensemble, toi pour moi, moi pour toi, pour le pire et le meilleur. Des vents favorables soufflèrent longtemps dans les voiles de notre joyeuse goélette, pavoisée au grand soleil des noces de juillet.
L’avenir s’était ouvert tout grand devant nos vingt ans, telle une rose éclose au jardin parfumé de l’Eden, ce Golestan, qu’il nous revenait à nous seuls de cueillir, ou telle une chanson que nos lèvres fredonnaient à l’unisson, tel l’horizon que nos regards désiraient ensemble.
En chemin, la rose fut dépouillée de ses pétales et souillée par les bourrasques étrangères, qui nous ravagèrent le cœur et la tête. Notre goélette résista tant bien que mal aux orages et aux tempêtes de passage quand, inattendue, dévastatrice, débuta la dérive, suivie d’un gigantesque incendie. Le jardin d’Eden disparut de nos rêves, l’horizon s’obscurcit, le lien sacré fut déchiré et notre histoire, notre mémoire, mises à feu et à sang.
Parfois, il arriva que des démons asservis à tes propres démons se déguisèrent en femmes de rien, prédatrices sans foi ni loi, attirées par ton charme et la vie facile que tu leur promis comme à moi. Ils t’éloignèrent de moi sans états d’âme. Tu finis par m’abandonner, moi ton épouse si éprise, à tous les périls de l’existence, seule, amoureuse au long cours désespérée par ton départ, par ta cruauté, ton indifférence à ma détresse, par ton absence.
De notre bel amour si vaillant, toute liaison parallèle ne pouvait être que pâle et dérisoire copie, sordide faux-semblant, affreux oiseau de malheur qui battrait de l’aile dès que les yeux se dessilleraient. Toute liaison secrète ne pouvait qu’être sacrilège, profanation des serments d’autrefois.
Depuis ce jour maudit, privée de Toi, privée de tendresse, privée de ta parole adorée qui s’était faite parjure, privée par la blessure de ton soutien, condamnée à ne plus jamais pouvoir te dire « je t’aime » de vive voix, à ne plus pouvoir te sourire, à ne plus pouvoir lire dans tes yeux clairs un peu de lumière, un peu de douceur envers mon âme anéantie, inexorablement je vieillis au jardin morose du chagrin, assaillie par les alarmes et les larmes, le cœur calciné, en lambeaux.
La Poésie nous reste, elle nous avait unis, elle liera nos destins pour les millions d’années peut-être, si le soleil de la Voie lactée bientôt ne s’éteint, comme se sont effacées de ta vie, tes promesses, la flamme sacrée en ton cœur et mon ancienne beauté, que ton âme a oubliées, ravie par les soldats aveugles du Malin.
16 octobre 2024 Aimée Saint-Laurent © Chants du passé aboli