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Professeure agrégée honoraire, Docteure de l'Université de Rouen, Qualifiée aux fonctions de maître de conférences, Chercheure en sciences humaines indépendante, poète à ses heures

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Billet de blog 23 juin 2023

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Le village de Xiyang du district de Lintong, situé au centre de la Chine, à une trentaine de kilomètres de Xi’an, l’ancienne capitale impériale, millénaire, continuait de vivre cahin-caha au rythme des saisons, malgré les soubresauts de l’histoire

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Guerrier de Xi'an

 Le village de Xiyang du district de Lintong, situé au centre de la Chine, à une trentaine de kilomètres de Xi’an, l’ancienne capitale impériale, millénaire, continuait de vivre cahin-caha au rythme des saisons, malgré les soubresauts de l’histoire : la révolution de Sun Yat-Sen de 1911, les interminables luttes fratricides entre nationalistes et communistes ensuite, l’invasion et les exactions japonaises de 1936-1937, la proclamation de la République populaire de Chine par Mao Zedong, le 1er octobre 1949, puis la Révolution culturelle, de 1966 à 1976.  L’exténuant labeur des paysans restait le même depuis les temps immémoriaux, rien n’y faisait, même si le Grand Timonier, fils de paysans lui-même, leur avait promis monts et merveilles. N’avait-il pas écrit que « l’impitoyable exploitation économique et l’oppression politique des paysans par la classe des seigneurs les a contraints à de nombreux soulèvements contre sa domination … », que « ce sont les luttes de classe des paysans, les soulèvements paysans et les guerres paysannes qui ont constitué la véritable force motrice du développement historique de la société féodale chinoise » ? La plupart des paysans ne savaient ni lire ni écrire, mais ils connaissaient par cœur des passages entiers du Petit Livre rouge qu’on leur avait appris et pourtant la vie ne se montrait pas moins difficile. Les caprices du climat et du sol n’arrangeaient rien et, à cela, Mao ne pouvait pas grand’ chose. De 1959 à 1961, période de prospérité en Europe, dans toute la Chine des millions de paysans moururent de faim. Chacun vivait de peu et tâchait de se faire oublier des autorités et de ses voisins. L’essentiel était de pouvoir s’alimenter et nourrir les siens sans déplaire aux officiels du parti, gourmands parfois, sans s’attirer la rancœur des jaloux. Il ne pouvait être question de s’enrichir, ou de rêver d’un autre destin, sauf pour les plus chanceux, les plus malhonnêtes aussi. Comme aux temps féodaux, le paysan semblait appartenir à la terre : le hukou, livret familial de résidence qui,  depuis 1958, dans la Chine Populaire, l’inscrivait dans un village, ne lui permettait pas plus qu’à sa famille de partir s’installer ailleurs que là où il était né, sauf s’il devenait soldat ou étudiant, cas rarissime. Le paysan travaillait, le visage tantôt baissé vers le sol, tantôt levé vers le ciel. Le ciel et le sol décidaient de sa vie et lui inspiraient sagesse ou résignation. Le sage montrait la lune, l’idiot regardait le doigt ; Mao promettait la lune, le paysan, pieds nus, labourait le champ et récoltait ce qu’il pouvait comme il pouvait, à la manière ancestrale. Aussi longtemps que les fonctionnaires de l’empereur ou les factionnaires du Parti ne venaient pas le chercher chez lui pour une corvée ou une punition dont il ne reviendrait peut-être jamais, il s’estimait le plus heureux des hommes. Pour vivre heureux, il avait toujours essayé de vivre caché.  Yang Peiyan, du village de Xiyang,  avait entendu dire qu’au long des siècles, des centaines de milliers de paysans avaient disparu ainsi pour aller construire la Grande Muraille qu’il n’avait jamais vue pour de bon, et qu’on venait pourtant admirer du monde entier, pas plus qu’il n’avait visité les palais des empereurs ou aperçu les vestiges près des mausolées dont on ignorait parfois jusqu’à la localisation. Il n’avait jamais fait partie de ces hordes de touristes venus de tous les coins de la Chine, coiffés de casquettes rouges, accompagnés d’un guide muni d’un haut-parleur pour commenter les sites, et qui, au cœur de la Cité Interdite, se bousculaient à l’entrée du Palais de l’Harmonie Suprême, prompts à jouer des coudes sans vergogne à l’encontre des étrangers de passage pour se frayer un chemin jusqu’au seuil, et apercevoir de loin le trône des empereurs du passé et les attributs du pouvoir absolu. Les paysans avaient conquis le droit de fouler le sol exclusivement réservé, autrefois, à la famille impériale et ils tenaient à en jouir sans retenue. La vie à la campagne était faite tour à tour de pluie, de soleil, de froidure, de chaleur torride, de chance et de malchance, mais surtout de fatigue ininterrompue. Chacun savait que les trois premiers coups de bêche sont pour le gouvernement, car il faut payer en espèces et en nature, que les trois suivants sont pour les cadres de la commune, l’équipe et la brigade de production, car il faut payer leurs salaires, les trois suivants pour des tas de contributions car il faut payer leurs verres d’alcool et le dixième enfin pour le paysan lui-même. Du moins, c’est ce que l’on racontait sous cape. 

(à suivre) Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs, de maintenant et de toujours

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