Finalement, finalement, Il nous fallut bien du talent Pour être vieux sans être adultes Mais mon amour Mon doux mon tendre mon merveilleux amour De l'aube claire jusqu'à la fin du jour Je t'aime encore tu sais je t'aime Et plus le temps nous fait cortège Et plus le temps nous fait tourment Mais n'est-ce pas le pire piège Que vivre en paix pour des amants Jacques Brel
Nos rendez-vous du soir
Nous avions vingt ans. Nos rendez-vous, chaque soir, illuminaient mes journées entières loin de Toi. Ils étaient la seule joie, le seul but vers quoi tendait mon âme solitaire. Ils l’étaient restés après plus de quarante ans quand éclata l’orage d’une colère que je ne compris pas.
Et si j’en crois mes souvenirs, quand nous avions vingt ans, pour toi aussi alors ces rendez-vous étaient lumière. Tu m’attendais ici ou là, dans le froid, les mains dans les poches. Et quand tu n’étais pas encore là, je scrutais ta haute silhouette et ton pas souple au bout de la rue. Mon cœur battait à se rompre, bondissant de joie, dès que, pressé, tu apparaissais. Le même élan nous poussait l’un vers l’autre. Le même baiser naissait de l’étreinte tendre, de la crainte apaisée.
Je n’avais qu’une hâte : me blottir contre Toi, sentir la chaleur de ton corps près du mien, pouvoir te dire combien j’avais besoin de toi, combien tu étais l’Homme que depuis toujours j’espérais de toute mon âme. Tu savais si bien dire les mots qu’il fallait, tu savais si bien me prendre dans tes bras et me protéger des quotidiens tracas. Tu étais Poème, tu étais Espoir, tu étais Prince de ma destinée, tu étais l’Amour, mon seul amour depuis toujours. Une unique pensée guidait ma vie : te chérir jusqu’à la dernière frontière.
Nous vivions un rêve, j’étais ton Eve aux cheveux lisses, et dans la nuit noire, nous nous croyions seuls au monde au jardin des délices. Tu prononçais les plus beaux mots de notre langue, ils s’imprimaient dans ma mémoire et jusqu’à ce jour, ils y sont toujours gravés avec l’inoubliable son de ta voix. Les entendrai-je de nouveau un jour, ces mots de Toi, quand ton cœur aura retrouvé la paix et le chemin du bonheur que nous avons connu et qui t’attend encore? Me blottirai-je un jour encore contre la chaleur de ton corps ?
Par un hiver maudit, nous nous sommes déchirés, mais ce n’était pas nous, ce n’est pas Toi qui me répudias, qui déclaras la sentence de mon exil, c’étaient les démons du malheur qui parlaient à notre place. Il faut parfois traverser le feu de l’enfer pour arriver à l’ancien pays où nous étions âmes-sœurs, où n’ayant rien, nous avions tout.
Il nous faut conquérir l’oubli du désastre, conquérir le pardon, reconquérir le passé, sous le regard des astres. Un tel amour ne peut mourir, il ne peut que dormir avant que de renaître plus tendre, comme l’oiseau Phénix relevé de ses cendres. Il sommeille seulement, n’est-ce pas ? Rien ne peut détruire un amour puissant comme une lame de fond venue de l’horizon du temps qu’aucun obstacle n’arrête. Un amour doux, un amour fou, un amour exceptionnel. Un amour que je n’ai jamais effacé un seul jour, mon seul phare dans l’océan noir de ton absence.
Nous n’aurons pas de nouvelle chance, le chemin qui reste sera maintenant bien court. Après tout ce temps, tu es toujours Poème, Espoir. Prince de mes dernières années, tu es encore l’Amour, mon seul amour et, malgré nos cheveux gris, te chérir reste mon unique pensée, celle qui m’a éclairée tout au long de nos années ensemble et que tu ne voulais plus voir parce qu’une autre t’avait ensorcelé et que tu étais son prisonnier.
Voilà que je me suis laissé emporter par mes songes. Peut-être que pour toi, le passé n’est plus que futile mensonge. Peut-être préfères-tu tout renier et me priver à jamais de mon plus cher trésor pour en faire don à celle qui t’est un jour apparue comme l’aurore d’un nouveau matin et te sculpte maintenant sous la caresse de ses mains. Peut-être finirai-je mes jours dans le deuil et le chagrin. Peut-être mon amour n’est-il que hochet dans ta main. Peut-être était-ce là mon destin.
24 janvier 2023 Aimée Saint-Laurent © Chants des noces