Guerrier de Xi'an (Fin)
C’est ainsi que fut découvert, jour après jour, le contenu des fosses dans lesquelles le premier empereur de Chine, Qin Shihuangdi, né en 259 avant Jésus-Christ, avait fait placer sa garde impériale de l’au-delà en -221 : quelque huit mille guerriers de terre cuite, grandeur nature, peints de couleurs vives que l’exposition à la lumière gâtait très vite, fantassins et chars, cavaliers avec leurs chevaux, archers et arbalétriers avec leurs armes, mais aussi des oiseaux et des quadriges de bronze, et toutes sortes d’objets de culte ou de prestige. Dès lors, le gouvernement chinois expropria les villageois de leurs terres et de leurs maisons et les obligea à reconstruire le village plus loin, de manière à ce que soit aménagé le site, pour le consacrer aux touristes et engranger les devises. Les compensations données par le gouvernement aux villageois disparurent presque entièrement dans la poche de certains officiels. Les paysans firent pour la plupart reconstruire leurs maisons à leurs frais. De sept découvreurs du trésor qu’ils étaient, ils ne sont à cette heure plus que quatre. Wang Puzhi, très malade et faute des moyens de se soigner, a attendu d’être seul dans sa maison pour se pendre et abréger ses souffrances, un jour de 1997 ; son épouse est décédée peu après. Dans les trois ans qui ont suivi son suicide, Yang Wenai et Yang Yanxin sont morts eux aussi, dans la misère bien entendu, seulement âgés d’une cinquantaine d’années. Ils n’avaient plus de travail et pas d’argent. Au village, les gens pensent que la découverte leur a porté malheur. Les quatre survivants, âgés, sont à présent employés par le gouvernement : à tour de rôle, chaque jour, ils viennent à la boutique du Musée et dédicacent les livres consacrés au site des guerriers de Xi’an pour les touristes, en échange d’un salaire de quelques yuans. Avant de pouvoir le faire, certains d’entre eux durent passer trois mois à apprendre à écrire pour savoir calligraphier leur nom. Pressentant leur fin prochaine, ils demandent aujourd’hui que leur nom figure sur les documents imprimés du Musée qui les a toujours passés sous silence ; ils voudraient ne pas totalement tomber dans l’oubli. Tandis qu’ à l’écart de tout, les villageois de Xiyang essaient, contre vents et marées, de survivre, que des petits malins tentent de se faire passer pour des découvreurs du trésor et dédicacent eux aussi des livres dans les échoppes à souvenirs non loin du site, les rues de Pékin, de Xi’an, de Shanghai, sont encombrées de grosses cylindrées qui klaxonnent à tout bout de champ ; des centaines de cyclistes et de cyclo-pousses cherchent à se frayer un chemin entre les trottoirs et les files de voitures ; les fumées des embouteillages rendent l’atmosphère opaque et poussiéreuse, des passants portent des masques sur leur visage. A Shanghai, les cours de la Bourse n’en finissent pas de grimper et de descendre puis remonter. Les luxueux buildings s’élancent toujours plus avant dans le ciel, à l’assaut de la demeure des dieux. Au-delà des néons multicolores là-haut dans la nuit noire, les astres sont devenus invisibles.
De Pékin à Shanghai, 4-14 mai 201
Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs, de maintenant et de toujours