Prière à l’Aimé de toute éternité
Je t’en supplie, ne m’abandonne pas tout-à-fait, parle-moi, écris-moi, dis-moi que tu m’aimes encore un peu, n’oublie pas tes anciens serments d’amour, tes promesses, n’oublie pas que je t’ai follement aimé, que j’ai décliné cet amour en arc-en-ciel de mille et une couleurs au long des jours en ton honneur, que je n’ai aimé que Toi de cet irrésistible élan du cœur, tout au long de nos années, et que je t’aime encore de toute mon âme de femme, comme Yseult aima Tristan, comme Juliette aima Roméo, comme Mélisande aima Pelléas, comme Héloïse aima Abélard, de l’amour impossible, romantique, céleste, qui transfigure l’âme et la consume. Peut-être est-ce le cœur de ces amantes de légende qui bat dans ma poitrine, peut-être en mon être leur indomptable passion, divine, pour l’Aimé survit-il à leur mort tragique à travers les siècles, pour que je te l’offre à Toi l’Unique, Elu de toute éternité.
Dans ma mémoire tu es encore le splendide jeune homme de mes rêves de toujours, l’Amant parfait d’autrefois, le Prince charmant, le gentleman, Celui que je vouais mon temps à attendre, qui m’écrivait des lettres et des poèmes doux et tendres que je lisais et relisais en souriant de bonheur, et que vieille dame je lis désormais en pleurs.
Celui qui s’est mis en colère et m’a crié sa cruauté, sa haine, sa noirceur, ce n’est pas Toi, je ne peux pas le croire, c’est le Démon qui s’est emparé de toi et qu’il faut chasser bien loin. C’est le démon de la chair qui t’a conduit vers le lit d’une vilaine harengère. Vos âmes ne communieront jamais. Vous ne connaissez l’un de l’autre que la face claire de chacun. La face sombre du mensonge est restée dans l’ombre. Mais peut-être es-tu le Diable en personne.
Bien sûr, mes paupières sont fanées, mes yeux rougis d’avoir tant pleuré, mon visage fripé par l’âge, tu ne vois sans doute plus en moi qu’une vieille dame, pourtant mon amour pour Toi a gardé toute sa flamme d’antan, toute sa fraîcheur de printemps, il est resté dans sa première fleur malgré le temps qui passe. Il ne se lasse de chérir Celui que tu fus.
Souviens-toi comme je t’attendais, toujours impatiente, impatiente de t’accueillir pour un dîner à deux, en amoureux, après avoir cuisiné un mets qui puisse te plaire, immémoriale offrande des femmes au Seigneur de leur cœur ; souviens-toi comme j’étais impatiente aussi de partager avec Toi notre couche d’époux pour une nuit de miel, parfumée et nue près de ton beau corps svelte et nu.
Outre ta cruelle absence, quand le silence total s’installe entre toi et moi, un ravageur vertige me prend. Lasse de vivre seule, loin de toi, sans toi, dans ce monde odieux, je rêve de mon linceul. Je pense au joli petit couteau de Tolède que je me planterai droit dans le cœur, pour abolir le Temps et la torture de vivre sans mon Amour de toujours, sans Toi que je ne vois plus, Toi que j’aime toujours autant depuis nos vingt ans, de la même ardeur, de la même ferveur, du même désespoir que lorsque autrefois, en notre jeunesse, tu t’éloignais de ma tendresse. Ô, combien de poèmes j’ai composés pour toi, désespérée par ton absence !
Un homme peut-il comprendre l’étrange amour d’une femme ? D’une écorchée-vive que le destin a trop souvent brisée ? D’une femme un peu poète ? Tu étais pourtant assez poète toi-même pour que nos âmes toujours se rejoignent. Comme moi, tu aimais la poésie, les belles lettres, les Beaux-arts. Rappelle-toi comme nous prononcions parfois, à l’unisson, les mêmes paroles, les mêmes aveux, aux mêmes moments. Nous faisions alors un vœu. Mon vœu silencieux était de passer une vie entière à ton côté. Il ne s'est pas réalisé.
Mais peut-être ton cœur s’est-il égaré au labyrinthe de cette vie, insoutenablement légère. Peut-être suis-je devenue pour toi une étrangère. Peut-être les démons t’ont-ils à jamais enchaîné. Peut-être après ta vile trahison, ta maudite trahison, t’ont-ils offert une prison dorée que tu préfères, que tu prends pour la Liberté. Tes démons un jour disparaîtront; il te restera mon Pardon.
25 janvier 2023 Aimée Saint-Laurent © Chants des noces