« Tu m’as bannie
Du jour au lendemain
Pour un crime que je n’ai pas commis »
Karine Tuil (KADDISH POUR UN AMOUR)
Quel crime ai-je donc commis ?
Quel crime ai-je donc commis, sinon celui de T’aimer jour et nuit dès le printemps de ma vie, celui de traverser les années avec le seul espoir d’enfin te retrouver chez nous chaque soir ? Sinon celui de t’offrir sans compter tout ce qui faisait ma pauvre richesse, l’unique, l’authentique richesse : ma tendresse de jeune femme, d’épouse, de vieille dame esseulée ?
Quel crime ai-je donc commis pour que ton cœur se lasse, pour que dans ton errance tes rêveries s’attachent à l’image factice d’une médiocre étrangère? Pour que ta personne soudain change de masque et emprunte celui d’un hors-la-loi, d’un vagabond sans respect des liens sacrés, sans devoirs, sans pitié, sans égards, sans un regard pour celle qui t’a religieusement adoré ?
Quel crime ai-je donc commis pour mériter le mépris de ma vie, la haine, la condamnation de mon amour à l’exil sur une île ravagée par les vents de l’enfer, une île désertée par les vivants, nouvelle île de Rhénée hantée par les défunts de Délos, qui errent aussi parmi les lionnes de marbre au col dressé vers l’horizon marin.
Ô, Grèce antique, où jamais Tu ne m’accompagnas, Grèce du bel Hermès de Praxitèle si pareil à toi, qui m’attendait à Delphes, Grèce admirée pour ses arts, son savoir, sa sagesse, Grèce ensoleillée de mes voyages, que jamais plus je ne verrai, Grèce martyrisée par l’Histoire, la plus belle des terres ! Nulle lune de miel ne nous embarquera pour Cythère.
Quel crime ai-je donc commis pour être condamnée par toi au châtiment de Sisyphe, vouée à pousser éternellement jusqu’au sommet de la montagne, le rocher d’un cœur brisé, lourd du chagrin de l’amour trahi, de l’amour perdu ?
Pour l’Amant sublime que tu fus, j’ai essaimé sur mon parcours des diamants inconnus des Cours princières, j’ai dispersé aux quatre points cardinaux de leurs jardins royaux les étincelles du feu qui pour Toi consume mes jours, j’ai pour l’amour de Toi versé en pluies éparses des larmes de rubis et de strass, j’ai imploré chaque Saint de l’éphéméride pour que tu m'accordes miséricorde, j’ai inventé des lais de troubadour pour la gloire de ton nom, pour la renommée de notre Amour, j’ai effacé de mon cœur les pensées sacrilèges semées par l’horreur de mots cruels, j’ai pardonné tes secrètes odyssées passées.
Mais je vois que ta sentence reste tranchante, couperet prêt sur l’échafaud du supplice, lame inflexible de la faux aux mains de la Mort complice, qui subreptice s’avance en silence.
27 janvier 2023 Aimée Saint-Laurent © Chants des noces