Concert du Nouvel An (Conte burlesque de fin d'année) à Paul et la tribu B.
Ah ! le joli concert devant le vieillard en chaussons, dépenaillé et hagard qui menaçait de se tuer depuis des mois et qui avait soigneusement fermé le portail du jardin au moyen d’une chaîne cadenassée. Craignait-il l’arrivée impromptue et subreptice de sa concubine protégée, cassos de son état, de nouveau enfuie et cette fois réfugiée, disait-on, dans une clinique (pour soins esthétiques ? on se le demande), ou craignait-il la visite de la tribu d’icelle pour régler quelques comptes avec lui ?
L'épouse, à qui il faisait depuis longtemps miroiter la possession de la maison (achetée avec les biens du ménage pour loger la princesse grasse), eut infiniment pitié de ses menaces de suicide répétées et de ses appels de détresse « psychologique » puisqu’il se disait, par SMS, déjà « aux trois-quarts, mort ». Elle lui avait fait remarquer qu'il lui restait un quart vivant.
Alors, n’y tenant plus devant l’urgence de la situation évoquée par les SMS de son mari depuis des semaines, voire des mois et même quatre ans à cette date, l’épouse appela un taxi et se rendit sur les lieux, en Picardie, à 90 km, par ce dimanche de grisaille, pour éviter le drame prévu. Là, après moult palabres, sur le conseil de la maréchaussée impuissante, elle appela aussitôt les pompiers de peur de l’imminence d’une tragédie macabre, pour qu’ils évitent au vieillard le geste fatal qui aurait conduit sa concubine déjà veuve (bien que non éplorée), au plus grand désespoir, à l’inverse de ses sentiments, quinze ans plus tôt, lors du décès de son jeune mari cocufié avec le bellâtre en proie au démon de midi…
Bravo aux pompiers arrivés en force moins de dix minutes plus tard avec estafette ordinaire, brigade déterminée, tenant fermement à la main outils de forcement pour procédure d’ouverture, haches à tête plate, halligans, puis deuxième brigade, du feu celle-là, avec camion rouge à échelle, gyrophares bleus aveuglants et soldats du feu en casque rutilant et uniforme.
Comme l’émoi dut être grand dans la petite rue de ce village picard paisiblement assoupi d’ennui et endormi par l’hiver !
Les quatre premiers arrivés, quatre jeunes hommes alertes, sautèrent allègrement par-dessus la haie ou la barrière, pour aller frapper à la porte d’entrée de la maison, d’abord sans réponse puis au bout d’un moment le futur suicidé par vocation apparut sur le seuil. Les pompiers parlementèrent alors avec lui puis, ayant fini le job, ils prévinrent l’épouse que si son mari n’avait pas ouvert rapidement, c’est qu’il était couché (à midi !) et ils invitèrent la co-propriétaire des lieux à entrer dans le nouveau domicile conjugal qu’elle n’avait pas choisi, alors qu’ils repartaient et qu’arrivait donc, tous gyrophares en marche, la brigade du feu avec le gros camion. Le vieillard renfrogné avait l’air halluciné et dit à son épouse que si elle entrait, il s’en allait, et il fit mine de partir. Mais il rebroussa chemin, son épouse le suivit et entra chez eux.
Le vieillard alla illico sans gêne aucune, le pantalon baissé, poser ses fesses sur les toilettes, la porte grande ouverte en marmonnant des mots d’amour, vous vous en doutez.
L’épouse poursuivit donc sa petite visite dans la nouvelle demeure conjugale, occupée depuis plus d’un an par l’étrangère qui couchait avec son mari. Elle arracha du mur de la salle le cadre aux photos du couple adultère et de la tribu, cadre léger qui ne demandait qu’à être décroché, et l’envoya valser par terre où il se désarticula.
Puis, elle ouvrit le buffet à vitrine exhibant la collection de verres venus d’ailleurs, qui trônait dans la pièce à vivre et n’avait rien à faire au domicile conjugal. D’une main gantée alerte, elle ratissa les trois étagères emplies de verres, tasses et autres vaisselles qui produisirent une jolie musique cristalline, tintinnabulant joyeusement en allant s’écraser et s’empiler en miettes sur le pavé. Elle aperçut le chat affolé qui sautait partout. Et comme le vieux mari la traitait de folle, l’épouse bafouée piétina de ses gros souliers le cadre aux photos déjà bien mal en point qui gisait par terre avec les clichés en désordre, et elle repartit, mission accomplie.
L’histoire ne dit pas combien de temps le ramassage des milliers d'éclats de verre et de faïence occupa le vieillard gâteux en cet après-midi de temps maussade et d’ennui de fin décembre.
29 décembre 2024 Aimée Saint-Laurent © Chants de la Revanche