A 19 ans, j'ai choisi (par défaut) la restauration, sans diplôme valable et voulant me lancer impérativement dans la vie active, j'ai accepté avec acharnement ce qui venait en premier et j'ai évolué au fil du temps en aimant mon métier.
J'ai débuté la restauration en août 2009, en banlieue nantaise, aujourd'hui nous sommes début septembre 2023, j'arrive à 33 ans dans 2 mois et mon corps ne suit plus. J'ai commencé en tant que plongeur, dans ce métier là, sans diplôme et sans expérience, c'est la base. Et comme les responsables disaient souvent - une phrase que je n'ai jamais oublié - "t'as signé, c'est pour en chier". Perso, à cet âge, je ne réagissais pas de la même façon qu'aujourd'hui. On est tous pareil, on apprend, grandit, murit. Je n'ai jamais été dû genre à fuir le travail, bien au contraire, j'ai toujours cherché à me surpasser.
Après quelques semaines, comme je ne voulais pas rester dans ce secteur géographique, j'ai poursuivi mes recherches d'emploi dans tous les domaines. Retournant chez mes parents après la saison, sans permis, j'avais le choix entre deux domaines : l'ostréiculture en Vendée. Plus précisément, entre Bouin et retourner en restauration du côté de Rennes, une grande ville que je découvrais en 2010. Entre Bouin et Rennes, dans ma tête, il n'y avait pas photo et pour de nombreuses raisons, j'ai choisi la capitale bretonne.
Et cela n'a pas mis de temps à revenir à la situation initiale, j'ai fait mes preuves en restauration à la plonge. Nous étions plusieurs candidats. J'ai appelé 6 fois l'employeur en 1 semaine et demi pour dire "oui je veux le poste et je l'aurai" Jeune et Deter! Et c'est à partir de ce moment là, j'ai fait l'ouverture un premier restaurant, par la suite j'ai enchaîné quelques entreprises en tant que plongeur, puis petit à petit commis de cuisine/plongeur. Au départ, c'était dur. Quand tu quittes le cocon familial, tu te retrouves dans une ville de 220 000 hab, ne connais personne, avec un premier appart 9m2. Et oui, à cet âge là, on prend sur soi ! A ce moment là, seul mon père me soutenait à distance par téléphone car chaque jour physiquement c'était dur mais il était là pour me dire de continuer et de ne rien lâcher.
Cette première entreprise rennaise a été également là pour me faire comprendre la réalité de la vie professionnelle : "t'es en restauration ici, t'es un bonhomme, on va apprendre à t'endurcir". Loin d'être méchant mais il fallait que face à mes collègues je sache davantage m'imposer. Quand t'es plongeur à 20 ans, débutant, face à une équipe en cuisine d'environ 7 à 10 employés, capacité de 120 couverts, oui il faut se sortir les doigts et avoir du répondant, ne pas être susceptible au moindre détail. C'est le métier.
Au fil des années, j'ai avancé, faisant également une saison de plongeur à Cancale en 2013. 1220€ net, des journées de 12h, parfois 15h. Pendant 6 mois et sur cette période, les 3 mois d'été, peu le temps de manger. Aller hop, steaks frites midi et soir et comme disait le chef de cuisine, comme le patron "si t'es pas content tu bouffes rien, c'est pas mon problème". Ah oui parfois l'un des deux repas de la journée, se faisait debout au comptoir car la clientèle arrivait à 11h/11h30 comme à 18h le soir. Fin bon, c'est Cancale, station balnéaire connue dans toute la France où le client est tellement roi que le patronat en a rien à faire de ses employés.
Donc on mangeait debout "et puis dépêchez-vous, le service va commencer, aller accélérez" à peine le temps d'aller au wc... Limite c'était une perte de temps ! J'assurais la plonge, le matin certaines cuissons de fruits de mer, l'écaillage, l'aide à la pâtisserie et bien entendu le ménage. C'est bien connu, le plongeur en restauration faut qu'il bosse comme on me l'a souvent dit "t'es pas là pour rien foutre, t'es pas payé à rien foutre" en revanche le salaire ne bougeait pas... (et quand t'es jeune, peu d'expériences, impossible de négocier). Je n'étais pas du genre à prendre des pauses toutes les 5 min car ce n'était pas mon délire, de plus je n'ai jamais fumé.
A cette époque-là, dans une plonge de 10m2 juillet/août pas moins de 60°C à la plonge et quand les week-ends, on était parfois deux, j'assurais la plûche de pommes de terre, une vingtaine de kilos en quelques heures à éplucher, sans compter le reste. Dont l'un des week-ends du 15 août, où l'on a fait 1500 couverts en 2 jours, à 2 à la plonge et j'étais seul le soir. Voilà pour cet épisode, du moins cette saison estivale.
Bien après de retour à Rennes, sur des postes plongeurs.
La question que vous allez vous posez, pourquoi n'ai-je pas fait de formation en cuisine ?
Quand tu as un loyer à payer, une petite prime d'activité et que tu détestes la théorie, c'est un peu compliqué. J'ai très mal vécu l'expérience collège/lycée, si c'était pour me retrouver avec des gamins, non merci. J'ai peut-être eu tort ? Certainement ! Je n'en doute pas, des hésitations, des erreurs on en fait tous mais j'avais besoin de mettre suffisamment d'argent de côté pour payer mon loyer, tel était mon raisonnement. Fin bref..
Me voilà de retour à Rennes, dans cette entreprise, je n'ai pas été longtemps plongeur car j'avais l'impression d'arriver chez les fous. L'arrogance et la prétention du patron. Le chef de cuisine et son second qui balançait des sceaux de sauces tomates d'un bout à l'autre de la pièce pour arriver à la plonge, il y en avait partout. Et qui nettoyait ? "L'esclave" de la plonge "après tout t'es payé pour cela", quand c'est le chef de cuisine qui te le dit, tu veux faire comment ? Bah rien, je faisais. Bataille de couteaux pour s'amuser pour savoir qui était le meilleur. Et ça finissait balancé dans l'évier de la plonge... pour 1070€ net. J'ai fini en arrêt maladie longue durée (8 mois) peu de temps après.
Moralement, je craquais.
Enfin, j'évolue... ou pas, du moins pas le salaire ! Je reprenais du service 8 mois après sur un poste de plongeur, commis de cuisine grâce à un couple de propriétaire. Là c'était vraiment la grosse boite. Pris à l'essai pour voir au départ une semaine et hop c'était parti. L'homme était super sympa, là je peux le dire pour une fois ! Elle, sa femme, pas sympa du tout. Déjà que madame n'était pas issue de la restauration et comme tout "bon patron" il fallait que ça rentre son chiffre d'affaires. Elle m'a présenté la plonge de son établissement avec une capacité au delà de 200 couverts. J'ai commencé à 1090€ net et il a fallu presque 1 an pour atteindre et la supplier de me mettre à 1300€ net. Lors de cette nouvelle ouverture de restaurant, la préparation, certains matins, on commençait à 7h45, 1h de pause, on finissait vers 23h, dans ce genre d'endroit tellement de travail à faire. Et là, une fois le démarrage lancé, la plonge, la mise en place cuisine et je venais sur mes jours de repos pour apprendre les entrées. La patronne m'avais promis qu'elle me passerait aux entrées, elle ne l'a jamais fait. Donc tous les services, il fallait courir plonge/entrée pendant des mois cela a été comme ça (dont août 7/7, 70h semaine aucune compensation). Bien sûr, nous étions deux aux entrées afin que je puisse faire la navette. Promesse non tenue, je suis parti.
Sans rentrer dans les détails, à chaque fois, cela a duré 9 ans environ, avant d'avoir une réelle progression...
Puis, j'ai eu l'occasion vers 2017/2018, en postulant spontanément et en expliquant mes capacités, pour la première fois de ma vie de passer commis de cuisine, responsable des entrées, alors là, un bonheur ! Qui malheureusement avec l'arrivée de la pandémie n'aura pas duré longtemps. J'ai gardé quelques contacts et au bout de 2 ans, j'ai pu passer chef de parti. Là, oui j'avais un salaire digne, mais bon, à force d'avoir des contacts, voire "un ami" bien placé, j'ai pu avancer. Malheureusement, travail trop intense, peu de repos, les arrêts ont continué. A la reprise, la pression du patron devenait trop importante et là clairement, c'était fini de me laissait faire. Quelques mois après, je suis parti.
J'ai voulu goûter à l'ostréiculture, franchement, plus d'horaires en coupures, les gens étaient sympas. Une nouvelle fois physiquement, j'ai enchainé torticolis, tendinites aux deux bras. Fin bref, ça n'a pas duré. Puis un passage dans le traiteur. Rien à dire, là je n'oublierai pas, entreprise familiale exemplaire, bon salaire, un patron au top, oui là je peux le dire et il l'a su. Vraiment, j'avais un patron, humain qui prenait soin de ses salariés. Pourquoi ne suis-je pas resté ? Je n'habitais plus à Rennes mais pour raison personnelle, en campagne. Mais je n'avais toujours pas de véhicule (car à Rennes pas besoin), du coup, une nouvelle fois, je me suis mis en difficulté à aller travailler tous les jours, été comme hiver, en vélo électrique et de nouveau, cela devenait compliqué. De 40°C l'été, jusqu'à -4°C l'hiver, oui j'ai tout connu (20km aller/retour) et j'ai arrêté.
Etant un bosseur confirmé, j'ai repris un travail saisonnier en 2023, pas très loin de chez moi, car sans véhicule en campagne, c'est un peu compliqué. Actuellement, dans la conduite aussi, du coup il fallait un employeur compréhensif du moins si je peux le dire. Assurant la plonge, la mise en place cuisine, le ménage, l'envoi des desserts, rentrer le bois pour 1140€ net environ alors que la promesse de départ était 1300€ net. Je ne suis pas le seul employé dans ces conditions là, je tiens à le préciser. Repas du midi à 14h30, c'est long ! Pas de repas le soir, prétextant qu'en mangeant à 14h30, le soir, à 18h30/19h, on a pas faim et après le service chacun souhaite rentrer à la maison. Voilà, où nous en sommes... sachant que pour ma part, j'ai 4 à 5km à faire en vélo pour m'y rendre, en plus d'une journée de 9h à 10h. Sois des semaines cet été à 45h environ et d'un bon mois à 230h, sans avoir deux jours de repos consécutifs mais un seul et deux demies-journées. Bien sûr, sinon le chiffre d'affaire ne rentre pas quand l'entreprise est fermée.
Pour finir cet été, entre le travail, le vélo et le manque de repos (oui car nous ne sommes pas des machines), arrêt de travail, problème aux deux genoux dont le ménisque gauche qui est bloqué à ce jour, et en attente de séance kiné, ostéo et IRM. Suivant ce que l'examen donnera, cela pourrait entrainer une infiltration du genou gauche.
Et après, on vient nous parler de la retraite à 64 ans. Mais comment voulez-vous l'atteindre quand le corps est usé à 33 ans ? Sur cette pensée là, je ne pense pas qu'à moi, mais également à tous les gens de la restauration qui auront l'occasion de me lire, mais aussi à tout le secteur de la santé, aux femmes de ménages, aux éboueurs, fin bref la liste est trop longue. Et je pense que pour ma part, seule la reconversion est à envisager au fil du temps.
A notre époque, le patronat de la restauration (pour parler de mon domaine) a dû mal à trouver des salariés. D'accord, certains ont augmenté les salaires, mais pas tous et sans compter les fausses promesses donc arrêtez de prendre vos employés pour des cons. Certains, certaines devraient vraiment se remettre en question car dans la vie, il n'y a pas que le chiffre d'affaires, il y a aussi des humains, de la communication, du respect, du savoir-vivre à avoir mais également de la tolérance et du civisme. Et ce n'est pas parce que vous détenez une entreprise, que le salarié doit être considéré comme un moins que rien.
Attention, il y a de bons patrons et comme cité, j'en ai connu UN en 14 ans. Et parfois, la fierté faut savoir la rangée de côté, sans vos salariés, vous n'êtes rien, ce sont eux qui contribuent au bon fonctionnement de chaque entreprise.
Merci à chaque lecteur d'avoir pris le temps de me lire.