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Billet de blog 1 mai 2015

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Le 7 janvier et "l'après-Charlie" au cœur de la Cité ardente

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Historiquement, la ville de Liège est la plus francophile des villes belges. Une vérité qui fait toujours loi aujourd'hui. Le 7 janvier, jour des attentats de Charlie Hebdo, toutes les forces vives de la Cité ardente ont barricadé les accès de la ville face à la menace terroriste. Autorités locales, responsables de lieux de cultes et d'ASBL, enseignants, personne n'est resté indifférent.
Que pensent-ils de l'événement en soi ? Comment ont-ils réagi ? Comment gèrent-ils ce qu'on appelle désormais le "Post-Charlie" ? Existe-t-il une menace terroriste sur le territoire liégeois ?
Retour sur l'émotion qu'a suscité cet événement, sur les différentes mesures prises au sein de la ville contre la menace terroriste, l'entraide qu'elles ont créé, ainsi que les points de convergence et de divergence entre les différents acteurs sur les stratégies pour faire barrage à l'extrémisme.

Moins de huit heures après les actes perpétrés par les frères Kouachi contre la rédaction du journal satirique, les liégeois étaient déjà rassemblés au pied du Perron pour exprimer leur indignation face à cette barbarie. La manifestation spontanée des citoyens fut appuyée par le bourgmestre, « nous avons soutenu la manifestation pour marquer notre indignation mais aussi pour des raisons organisationnelles loin de l'intention de la récupérer ou la politiser » précise Laurence Comminette, responsable de la communication au cabinet du bourgmestre Willy Demeyer. Pour sa part, l'Union des Mosquées de la Province de Liège s'est rapidement mobilisée pour une réunion avec le Bourgmestre de la ville, pour mettre en place une stratégie de collaboration entre les deux parties. « La réunion fut axée sur la réaffirmation des valeurs de la tolérance qui font le sceau de l'identité liégeoise » indique Laurence Comminette.
Le 16 Janvier marqua un nouveau tournant dans le cours des événements. À moins de 30 km des portes de la ville, les Liégeois se sont sentis encore plus concernés par le fléau du terrorisme. Les arrestations de Verviers ont eu un effet direct sur la ville. Le Bourgmestre n'a pas hésité à utiliser le joker de l'armée pour renforcer les effectifs de sécurité. L'aide de la Défense répondait à des sollicitations du procureur du Roi et des magistrats liégeois présentées au Bourgmestre. Il visait en premier lieu à assurer la sécurité du Palais de Justice, notamment ses trois implantations au sein de la ville , « d'autres mesures ont été prises , après des informations transmises par le l'OCAM (Organe de Coordination pour l'Analyse de la Menace), pour protéger d'autres lieux menacés notamment des rédactions de journaux qui ont reçu des menaces » ajoute la chargée de communication au cabinet du Bourgmestre.

Mais aujourd'hui, existe-t-il une menace terroriste sur le territoire liégeois ? Les ministres du culte sont-ils aptes à transmettre un discours religieux aux fidèles ? Existent-ils des mosquées assez isolées qui peuvent être un terreau pour le radicalisme? Il faut tout d'abord signaler que face à la sensibilité de la question, les interrogés ont veillés à ne pas baisser leurs gardes.
Dans une déclaration parue le 16 Janvier dans le journal L'Avenir, Willy Demeyer précise qu’une vingtaine de personnes « ont attiré l'attention des services de sécurité et sont surveillées de près». Les surveillances qui sont toujours en cours rendent l'accès à leurs identités impossible, « nous avons essayé de savoir de qui s'agit-il dans le but de les réorienter et de parler avec leurs familles, mais les autorités compétentes se sont abstenues de dévoiler leurs noms » affirme Daoud El Mellali, porte parole de l'UMPL (L'Union des Musulmans de la Province de Liège), avant de rappeler «en général, ces jeunes ne fréquentent pas les mosquées ».
Il faut toutefois noter que 5 sur 22 mosquées arabophones au sein de la Province de Liège ne font pas partie de l'UMPL, cette indépendance et ce choix d'isolement pourrait les rendre suspectes aux yeux des autorités.
La gestion des ministres du culte (imams) reste très controversée dans le paysage liégeois, « la notion de "ministre du culte " n'existe pas dans l'imaginaire arabo-musulman, le correspondant musulman n'a comme mission que celle de la direction de la prière et de l'apprentissage du Coran aux enfants n'ayant pas atteint l'âge de l'obligation scolaire. Comme la communauté s'est retrouvée dans un espace qui n'est pas le sien, il lui a fallu reconstituer son espace originelle pour réduire l'impact du déracinement en s'adressant justement aux imams qui ont vu leurs compétences s'élargir progressivement à celle d'un " ministre du culte", qui rend visite aux malades, qui enterre les morts, et qui célèbre les mariages ou les baptêmes, alors que ces fonctions sont assurés par des laïcs dans le pays d'origine » avertit Hassan Jarfi, enseignant de religion islamique.
L'idée de formation des imams était bien présente avant les événements de Charlie Hebdo, Jean-Claude Marcourt, ministre de l'Enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles, avait fait savoir en novembre de l'année passée son intention de créer une formation spécifique pour les imams et les professeurs de religion islamique. Le 18 mars dernier, invité à la matinale de Bel-RTL, le ministre socialiste a relancé l'idée de son projet précédemment annoncé, « je suis profondément laïc, mais la communauté musulmane, elle même, dit nos imams ne sont pas bien formés (...) ce que je veux c'est un islam qui s'ancre dans notre territoire plutôt qu'un islam importé ». Interrogé sur la question, Daoud El Mellali avoue que « la majorité des imams viennent de l'étranger, avant de souligner, nous sommes ouverts pour un travail de partenariat avec le ministère en ce qui concerne cette formation proposée par le Ministre, mais nous sommes opposés à toute formation d'ordre théologique, cela sera une ingérence de l'Etat dans les affaires du culte ce qui est inconstitutionnel ».

Comme l'a précisé le représentant du gouvernement dans la commune, dans une déclaration parue dans le site de la RTBF au lendemain des arrestations de Verviers, « il n'existe pas de menace précise sur Liège », néanmoins, plusieurs cas de jeunes radicalisés ont démontré que le processus de radicalisation se fait d'une manière extrêmement rapide, chose qui demande une vigilance permanente de la part des autorités. Concernant ce phénomène de "radicalisation accélérée", Hassan Jarfi explique que « La formation des imams ne dépasse pas généralement l'apprentissage du Coran (...) cela soumet le fidèle à la vision de l'imam dont le niveau intellectuel et cognitif reste bien inférieur à celui qui l'écoute. Nous pouvons imaginer facilement les conséquences, avant de boucler son raisonnement, le danger devient plus visible quand l'imitation dépasse la vision du monde et qu'il y ait une identification aux personnages du Moyen âge islamique ».

Mais l'air de solidarité et de confiance qui règnent dans la Cité ardente rassurent ses habitants. Aujourd'hui, bien qu'il n'existe pas des statistiques en la matière, il est assez clair que la ville est très loin d'être directement touchée par le phénomène de l'intégrisme en la comparant à Verviers, Anvers, Bruxelles ou même d'autres villes du plat pays. Ceci laisse entendre que Liège, en l'occurrence ses habitants, sortent proportionnellement du lot par rapport à leurs compatriotes. On peut bien s'interroger sur les raisons qui font la particularité de l'identité liégeoise. D'un point de vue socio-historique, la ville de Liège, et en particulier le Liégeois, «parfois à tort, souvent à raison, se pense comme frondeur et, vu de l'extérieur, il est vrai que c'est un râleur permanent. Un rebelle, têtu et obstiné (...) À cet égard, Liège vit un peu dans un splendide isolement, tournée vers Paris plutôt que vers Bruxelles, qui apparaît au fond très provinciale. Cet isolement est le produit d'une histoire multiséculaire - celle de la Principauté de Liège, indépendante pendant près de dix siècles - et d'une sensibilité qui l'a rapprochée très tôt de la France révolutionnaire » témoigne Pascal Durand, professeur ordinaire à la Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université de Liège, dans une interview accordée au journaliste Jean Sloover. D'un autre angle, plus contemporain, « il existe à Liège une forme de patriotisme liégeois qui fait que souvent avant d'être de telle origine, de tel parti politique ou autre, on se sent avant tout liégeois et fiers des valeurs auxquelles cela renvoie à savoir la tolérance et la générosité, avance l'attachée de presse du Bourgmestre de la ville, avant de conclure, à Liège toutes les forces se rassemblent ».

Nidal Taibi

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