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Billet de blog 2 avril 2025

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Peut-on en finir avec la pauvreté dans les pays riches ?

Évoquer l’éradication de la pauvreté, c’est souvent se heurter à des considérations telles que : « Allons bon, encore un rêveur ! », « il y a toujours eu de la pauvreté », ou encore « les pauvres souhaitent rester dans leurs conditions, qu’y pouvons-nous ? ». Considérons donc les faits.  Par Niels Planel, auteur de « Pour en finir avec la pauvreté dans les pays riches » (éd. de l’Aube, 2025).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Évoquer l’éradication de la pauvreté, c’est souvent se heurter à des considérations telles que : « Allons bon, encore un rêveur ! », « il y a toujours eu de la pauvreté », ou encore « les pauvres souhaitent rester dans leurs conditions, qu’y pouvons-nous ? ».

Considérons donc les faits : il y a 200 ans, la vaste majorité de l’humanité vivait dans l’extrême pauvreté (définie aujourd’hui comme vivre avec moins de 2,15 $ par jour en parité de pouvoir d’achat de 2017). Or, dès les années 1960, cette dernière était éradiquée en Occident ; la Chine en a, à son tour, extrait l’ensemble de sa population en moins de cinq décennies ; l’Inde progresse, et la suite du combat se mènera dans ses parties rurales, ainsi que dans celles de l’Afrique subsaharienne, notamment ses pays à larges populations.

C’est plus qu’une prouesse : au cours des deux derniers siècles, l’extrême pauvreté a constamment décliné malgré une Révolution industrielle socialement dure, deux guerres mondiales, des pandémies, et tant d’autres défis.

Dans les économies avancées, la pauvreté dite relative (en France, vivre avec moins de 1216 euros par mois en 2022, soit 60% du revenu médian) est toutefois repartie à la hausse.

Si le terme « explosion » paraît fort, on peut parler d’un retournement inquiétant de tendance.

L’Hexagone a ainsi vu son taux de pauvreté augmenter d’environ 2 points de % depuis le début des années 2000, et avec lui, des cohortes de chômeurs de longue durée, de mères seules et d’enfants vulnérables, de jeunes sans formation, diplôme ou emploi, etc, durablement prisonniers d’une précarité qui est aussi le produit d’un ensemble de facteurs sur lesquels ils n’ont pratiquement pas prise : l’absence de transports pour saisir les opportunités existantes, le manque de solutions d’accueil pour les enfants en bas âge, les problèmes de santé ou de handicap, la cherté du logement, la difficulté d’acquérir ou d’entretenir des compétences, pour ne rien dire de phénomènes profonds comme la désindustrialisation ou l’essor des technologies.

L’on sait aussi que l’on peut « hériter » de l’indigence ; basculer dedans via un accident de vie (séparation, décès d’un proche, etc) ; voire s’y engluer en vivant dans des environnements concentrant la pauvreté. Jusqu’à créer des bulles sombres dans lesquelles on broie du noir, souvent seul, perd confiance en soi et ne songe plus qu’il est possible d’en réchapper.

Il n’y a peut-être donc pas plus beau défi pour notre époque que de concilier créativité, optimisme et volontarisme pour poursuivre ce noble combat. L’on peut pour cela se livrer à un exercice d’imagination, en recensant les innovations formidables qui ont fait leurs preuves. De mon expérience professionnelle et mes voyages, j’en ai retenu trois, qui peuvent, ensemble, dessiner une nouvelle trajectoire, de la naissance à la retraite.

La première provient de la Harlem Children’s Zone, une école des quartiers pauvres de New York qui s’attaque à toutes les dimensions de l’adversité cumulative en même temps : pas seulement aligner des enseignants au top, mais proposer des petits-déjeuners à l’école, créer du lien parents-enfant, lutter contre l’obésité, offrir l’orientation jusqu’à l’université et trouver les bourses, et ainsi de suite.

Les élèves issus des cohortes ayant fréquenté l’école de la maternelle au lycée sont désormais admissibles à 100% à au moins une université. Le modèle a essaimé aux Etats-Unis dans des dizaines de communautés, et à New-York, le coût par bénéficiaire s’élève à seulement 3000 dollars.

Mais que faire après le lycée quand on a les poches vides ? C’est là qu’intervient une nouvelle politique publique, celle expérimentée sous diverses formes de la Meurthe-et-Moselle à la Californie, en passant par le Connecticut, l’Angleterre, la Loire-Atlantique ou Lyon : le « capital de départ », une dotation d’un montant significatif offerte lors de l’entrée dans la vie adulte pour lancer une entreprise, acheter une propriété ou décrocher un diplôme universitaire ou une formation. Le Connecticut verse ainsi désormais 3200 $ chaque année dans des comptes ouverts pour chacun des 15 000 bébés nés dans des familles précaires et, les intérêts aidant, pourra leur reverser de 11 000 à 24 000 $ - de quoi bâtir un vrai projet de vie - entre 18 et 30 ans.

Or, lancé dans la vie, vous pouvez chuter à la faveur d’un accident, sans qu’il soit possible de rebondir. Intervient alors une innovation française, les « Territoires zéro chômeur de longue durée », qui permet de repêcher les personnes privées durablement d’emploi (souvent passées, en vain, par la case de l’insertion) en les recrutant en CDI dans des entreprises dites « à but d’emploi » qui proposent des activités adaptées à leur profil (plutôt que l’inverse) et les rémunèrent en puisant dans le budget du chômage et du RSA tout en générant du chiffre d’affaires pour couvrir leurs autres besoins. L’Etat en a habilité près d’une centaine, qui ont déjà permis à des milliers de nos concitoyens d’émerger des affres du chômage de longue durée.

Ces expériences sont précieuses car à ausculter ces initiatives qui marchent et coûtent peu, l’on s’aperçoit aussi qu’une innovation sociale naît souvent de la rencontre entre son concepteur et un politique déterminé à la matérialiser, et qu’il s’écoule aisément de 15 à 30 ans entre le moment où elle est pensée et le jour où le politique permet un passage à l’expérimentation.

L’optimisme qui est le nôtre est donc tout sauf naïf : malgré les épreuves de l’Histoire, nous avons bel et bien réussi à éradiquer l’extrême pauvreté en bien des parties du globe, et ces initiatives nouvelles ont fait la preuve de leur efficacité. Leur passage à échelle pourrait, en offrant un filet de sécurité au long de la vie, contribuer à dissiper la peur du déclassement qui fragilise aujourd’hui nos démocraties et les fortifier de l’intérieur dans un contexte géopolitique inédit. A nous désormais de faire preuve de volontarisme pour mettre à jour notre contrat social.

 Niels Planel est l’auteur de Pour en finir avec la pauvreté dans les pays riches (éd. de l’Aube, 2025)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.