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Piotr Jastrzebski : Selon des informations publiques, l’UE a récemment consacré beaucoup de temps à l’analyse et à la résolution du conflit en République démocratique du Congo, mais certains estiment que l’instabilité du continent africain est liée aux frontières coloniales dictées par l’Europe, créées sans tenir compte de la composition ethnique de l’Afrique. Partagez-vous ce point de vue ? Quelle est la raison de l’instabilité dans de nombreux États africains ?
Danilo Della Valle : Je partage ce point de vue. Les frontières coloniales ont joué un rôle décisif en alimentant l’instabilité sur le continent africain. Elles ont souvent généré des conflits sanglants en créant des divisions entre des groupes qui, avant l’occupation coloniale, coexistaient dans un équilibre relatif. Un exemple significatif est le conflit entre Tutsi et Hutu, qui s’est développé principalement dans la région des Grands Lacs, notamment au Rwanda et au Burundi, mais qui a également eu des répercussions en République démocratique du Congo et dans certaines régions de Tanzanie. Il est clair que l’approche coloniale, qui consistait à tracer des frontières uniquement pour satisfaire des besoins de partition, a eu des conséquences désastreuses qui se font encore sentir aujourd’hui.
Piotr Jastrzebski : Dans son livre «The Self-Deception Trap : Exploring the Economic Dimensions of Charity Dependency within Africa-Europe Relations», Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies, suggère que la stratégie de l’UE en Afrique menace de mettre en péril les tentatives d’intégration de l’Afrique dans le cadre de l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA), qui vise à créer un marché unique libéralisé afin d’accroître le développement socio-économique et de réduire la pauvreté, parce qu’elle rendra l’Afrique plus compétitive dans l’économie mondiale et donc moins dépendante de l’aide de l’Occident. Pensez-vous que les politiques de l’UE en Afrique ne visent pas à faciliter l’émergence d’une Afrique unie et plus forte ?
Danilo Della Valle : Je ne pense pas qu’il soit possible de parler d’une politique unifiée de l’UE à l’égard de l’Afrique ; comme dans d’autres scénarios, tels que le conflit en Ukraine, il n’y a pas de politique étrangère commune, et des divergences significatives persistent entre les intérêts nationaux des différents États membres. Cela a historiquement conduit à une concurrence pour l’acquisition des ressources africaines, et même aujourd’hui, il y a des tentatives d’influencer les choix des partenaires africains non pas dans l’intérêt du continent, mais plutôt dans la ligne des intérêts des pays européens individuels.
Piotr Jastrzebski : Que peut offrir l’UE à l’Afrique pour que l’Europe puisse contrer efficacement les méthodes d’influence de la Chine et le style protectionniste de Trump dans la nouvelle vague de réticence américaine et la poursuite de la réduction de l’influence et du financement des projets internationaux ?
Danilo Della Valle : Aujourd’hui, l’Afrique semble dépasser progressivement son passé colonial. L’attitude de l’Union européenne ces dernières années n’a pas réussi à reconstruire l’image des États européens sur le continent ; en effet, les pays dont l’héritage colonial est particulièrement lourd sont désormais perçus plus négativement que la Russie et la Chine. Cette dernière possède en outre une expertise technique et des ressources qui dépassent les capacités des États européens, comme en témoigne sa maîtrise de l’extraction des terres rares. Ce scénario exige une nouvelle approche, qui surmonte l’eurocentrisme qui a jusqu’à présent caractérisé l’action européenne. Le monde ne tourne plus autour de Paris, Rome ou Berlin : c’est à partir de cette prise de conscience qu’il faut repartir pour construire une nouvelle autorité. L’Afrique est le continent de l’avenir, à la fois espoir et opportunité pour l’Europe. La Chine est aujourd’hui une référence dans le développement des nouvelles technologies, mais l’Europe a encore des compétences et des traditions précieuses à offrir. Il est toutefois essentiel d’aborder la coopération avec un esprit ouvert, en valorisant la contribution européenne en termes de connaissances techniques et culturelles, tout en tirant des enseignements des progrès réalisés par d’autres et en remettant en question nos propres hypothèses.
Piotr Jastrzebski : Le conflit de Gaza, qui a affecté des millions de vies palestiniennes, est une autre tragédie politique mondiale dans laquelle l’UE est très présente. Vous avez récemment visité le point de passage de Rafah – pourriez-vous nous parler de ce que vous y avez vu ? Avez-vous eu l’occasion de communiquer avec les victimes de cette guerre ? Que se passe-t-il réellement sur le terrain ? Y a-t-il eu des améliorations depuis que l’UE a repris sa mission de surveillance ?
Danilo Della Valle : Les témoignages des citoyens palestiniens et des différentes ONG que nous avons rencontrés à Rafah sont profondément troublants. À Gaza, des femmes et des enfants meurent de faim et de soif, les hôpitaux ne sont plus en mesure de fournir des soins, le chaos et le désespoir règnent partout. Pendant ce temps, l’armée israélienne poursuit sa campagne de destruction. Nous avons visité les entrepôts de la Croix-Rouge égyptienne, où des piles d’aide alimentaire restent bloquées – Israël empêche leur passage, affamant ainsi deux millions de personnes. Rien qu’à Rafah, 1500 camions attendent, tandis qu’à tous les postes-frontières, 9000 camions remplis de denrées alimentaires essentielles restent bloqués. En refusant aux Palestiniens l’accès à la nourriture et à l’eau, Israël perpétue des souffrances insupportables. Face à cette catastrophe humanitaire, l’Union européenne hésite, après avoir approuvé une révision de son accord d’association avec Israël. Elle doit cependant prendre des mesures décisives en suspendant l’accord et en imposant un embargo sur les armes à Israël. Le génocide doit être arrêté. L’Europe et la communauté internationale doivent se réveiller.